NOTES DE JURISPRUDENCE – Conseil d’Etat, Ordonnance, 5 janvier 2018, MME B…ET MR D : de l’affaire Marwa à l’affaire Inès, patientes en fin de vie : qui décide, le médecin ou le juge ?

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 06/02/2018

Par Myriam TAMRAZ, juriste apprentie au Centre de droit JuriSanté

  • Que s’est-t-il passé ?

Une adolescente souffrant d’une myasthénie auto-immune sévère a été retrouvée sans connaissance à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire. Prise en charge au Centre hospitalier régional universitaire de Nancy, elle a subi de nombreux examens qui ont révélé un état neurologique très préoccupant avec de nombreuses et graves lésions cérébrales.

Le médecin après avoir recherché en vain un consensus avec les parents quant à une décision d’arrêt des soins, a décidé de mettre en œuvre la procédure collégiale prévue à l’article L.1110-5-1 du Code de la santé publique (CSP).A la suite de cette réunion collégiale, il a été décidé l’arrêt de la ventilation mécanique et l’extubation de la patiente en raison de la gravité de ses séquelles, et des chances d’amélioration de son état quasi-nulles.

Toutefois en raison d’un référé liberté exercé par les parents de la patiente, la décision n’a pas été mise à exécution, et ce, afin de respecter le droit à un recours effectif. Suite au rapport rendu par trois experts, le Tribunal administratif a rejeté la demande des requérants par une ordonnance du 7 décembre 2017.Ces derniers ont alors interjeté appel devant le Conseil d’Etat.

  • Quels sont les textes applicables ?
  • Article L.521-2 du code de justice administratif (CJA) relatif au référé liberté
  • Article L.1110-5-1 du CSP issu de la loi du 2 février 2016 dite « loi Claeys-Leonetti » qui prévoit une procédure collégiale avant l’arrêt des traitements.
  • Quelle décision ?

Dans sa décision le Conseil d’Etat rappelle qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L.1110-5-1 du CSP,  la décision finale d’arrêt des traitements appartient au médecin et à lui seul lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, et n’a par ailleurs pas rédigé de directives anticipées (CC, QPC, 2 juin 2017 n°2017-632). Pour prendre une telle décision, le juge précise que «  le médecin doit se fonder sur un ensemble d’éléments,  médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à apprécier chaque situation dans sa singularité ». En l’espèce, le rapport des trois médecins experts rendu en première instance confirme les conclusions qui avaient été tirées par leurs confrères à l’issue de la procédure collégiale, à savoir le caractère déraisonnable du maintien en vie de la patiente. En effet, les médecins soulignent le caractère « catastrophique » et « irréversible » de ses lésions neurologiques, mais aussi « un état végétatif persistant » qui empêche la patiente  de communiquer de quelque façon que ce soit.

D’autre part, les éléments du dossier ne permettant pas de déterminer la volonté de la patiente, le juge rappelle que la volonté des parents (titulaires de l’autorité parentale) « revêt dès lors une importance particulière ». Or ces derniers s’opposent catégoriquement à la décision d’arrêt des soins pour des motifs religieux, mais aussi parce qu’ils souhaitent une hospitalisation à domicile en vue d’une amélioration de l’état de leur fille, projet qualifié d’irréaliste par le médecin eu égard à l’état de la patiente. Toutefois, bien qu’aucun consensus n’ait finalement été trouvé, le juge souligne que les parents « ont toujours été associés à la prise de décision ».

Dans ces conditions, le juge considère qu’en dépit du refus des parents, le maintien en vie de la patiente s’apparenterait en l’état de la science  à une obstination déraisonnable au regard de son état de santé, et rejette la requête des parents.

Commentaire : Cette décision doit être mise en perspective avec une autre décision rendue par le Conseil d’Etat le 8 mars 2017 « Assistance publique – Hôpitaux de Marseille »[1] dans laquelle il a désavoué les médecins qui avaient décidé, à la suite de la procédure collégiale et contre l’avis des parents, l’arrêt du traitement. Il s’agissait pourtant d’un cas semblable dans lequel une petite fille avait contracté un virus à l’origine de lésions neurologiques gravissimes entrainant une paralysie des muscles et de la face, ainsi qu’une dépendance totale à des moyens de suppléance de ses fonctions vitales. Malgré ces éléments, le Conseil d’Etat a considéré que les conditions de la loi n’étaient pas remplies dans la mesure où en dépit du « caractère extrêmement péjoratif » du pronostic établi par les experts, il existait des petits signes d’amélioration de son niveau de conscience (réactions à certaines stimulations)  qui justifiaient un délai plus long avant de prendre une décision. Il soulignait par ailleurs que le fait que l’enfant se trouve dans un état irréversible de perte d’autonomie la rendant tributaire des moyens de suppléance de ses fonctions ne justifiait pas pour autant un arrêt des traitements.

Ainsi, loin de s’en tenir à un contrôle de légalité externe de respect de la procédure collégiale et de consultation des parents, le juge des référés  s’attache également à la légalité interne et notamment à une motivation suffisante pour justifier l’arrêt des soins.

I/ Le  contrôle de légalité externe

Si le respect de la procédure collégiale ne semble pas poser de problèmes particuliers, il peut en être autrement concernant la consultation de la famille avant l’arrêt des soins comme le montre  une affaire récente en date du 6 octobre 2017[2]. En effet, un hôpital a été condamné à indemniser chaque enfant de la patiente pour avoir décidé d’interrompre le traitement de cette dernière sans  avoir préalablement consulté sa famille comme le prévoyait l’article L.1111-13 du CSP. S’il est vrai que l’avis de la famille ne lie pas le médecin qui décide seul de l’arrêt des soins, disposition jugée conforme à la Constitution (CC, QPC 2 juin 2017), l’article R.4127-37-2 CSP précise qu’en absence de directives anticipées et à défaut de la désignation d’une personne de confiance, la famille « témoigne de la volonté exprimée par le patient », d’où l’intérêt de ne pas passer outre…

Lorsqu’il s’agit d’un enfant mineur comme c’était le cas en l’espèce, la loi prévoit que le médecin doit recueillir l’avis des titulaires de l’autorité parentale (article R.4127-37-2 CSP) qui a dans ce cas  une importance particulière faisant que le médecin doit « s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre ».Ainsi, même si le médecin n’est pas tenu juridiquement de suivre l’avis des titulaires de l’autorité parentale, il doit s’efforcer de trouver un consensus avec ces derniers ce qui n’est pas toujours évident, et laisse craindre une envolée du contentieux.

II/ Contrôle de légalité interne

Le juge du référé-liberté contrôle également la légalité de la décision à la lumière de sa motivation c’est-à-dire l’existence d’une « obstination déraisonnable ».Cette dernière se caractérise par l’inutilité des traitements, leur caractère disproportionné ou encore le fait qu’ils aient pour seul effet le maintien artificiel de la vie (critères non cumulatifs).Le médecin se focalise pour sa part sur un faisceau d’indices d’ordre médical ( l’état actuel du patient, son éventuelle amélioration, le caractère irréversible des lésions) et non médical (directives anticipées, personne de confiance…). Or il arrive que l’appréciation médicale rentre en conflit avec l’appréciation juridique comme c’était le cas dans la décision du 8 mars 2017 à l’occasion de laquelle le Conseil d’Etat a contraint l’hôpital à reprendre le traitement de la jeune Marwa. Toutefois au regard de ses séquelles, des perspectives d’amélioration de son état, et de sa dépendance à des moyens de suppléance de ses fonctions vitales, on peut raisonnablement penser que l’âge de la patiente (16 mois) a eu un impact sur la décision du juge…(TA de Lyon, 9 novembre 2016, n°1607855 : décision d’arrêt des  traitement pour une personne de 79 ans)

En l’espèce, bien qu’il s’agisse également d’une patiente très jeune (14 ans), le juge considère que la poursuite des traitements s’apparenterait à une obstination déraisonnable. Cette décision même si elle est compréhensible soulève néanmoins  des interrogations à deux niveaux :

En effet, alors que dans l’affaire de la jeune Marwa, il avait considéré que la décision d’arrêt des soins avait été prise trop hâtivement (environ 1 mois et demi après son arrivée à l’hôpital), il ne soulève même pas la question dans la présente affaire, et ce, alors qu’un mois seulement s’était écoulé entre l’arrivée de la patiente (22 juin 2017) et la réunion collégiale (21 juillet 2017).

D’autre part, dans cette affaire le juge s’en remet entièrement à l’avis des médecins experts qui jugent l’état de la patiente irréversible, alors que dans l’affaire de 2017 malgré le pronostic extrêmement péjoratif des experts médicaux, il considère que les petits signes d’amélioration observés (réactions à certaines stimulations et mouvement de paupières) justifiaient une reprise des soins. Or malgré son état végétatif persistant, l’adolescente présentait des mouvements respiratoires ponctuels capables de déclencher le respirateur, ainsi qu’une ouverture spontanée des yeux…Toutefois le juge ne semble pas s’y attarder et confirme l’arrêt des traitements.

De toute évidence, l’appréciation par le juge de l’obstination déraisonnable est pour le moins casuistique et assez incertaine. Si le jeune âge d’un patient semble peser dans la balance, il semblerait que le critère le plus important soit la potentielle amélioration de son état qui est souvent très complexe à évaluer. Toutefois il semble compliqué d’évaluer les cas dans lesquels le juge se rangera à l’appréciation des médecins, et ceux dans lesquels il passera outre…les jurisprudences futures permettront peut-être de déterminer un faisceau d’indices plus précis.

N.B : La Cour européenne des droits de l’homme s’est très récemment prononcée sur cette affaire[3] et a confirmé la décision du Conseil d’Etat. Elle considère que la loi française est bien en accord avec l’article 2 de la Convention relatif au droit à la vie. D’autre part,  même si les parents de la patiente ne sont pas d’accord avec la décision finale, ces derniers ont toujours été associés au processus décisionnel, et ont bénéficié du droit au recours juridictionnel. Il s’agit là d’une jurisprudence constante rappelée dans de très nombreux arrêts de la Cour en la matière (CEDH, 5 juin 2015, Lambert et autres contre France[4]).En effet, dans la mesure où  il n’existe pas de consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe concernant l’arrêt des traitements, ces derniers  disposent d’une marge d’appréciation en la matière. Dans ces conditions, la Cour se contente de vérifier que les exigences de l’article 2 de la Convention sont effectivement respectées.

[1] CE, 8 mars 2017, « Assistance publique, Hopitaux de Marseille », n°408147

[2]  TA Paris, 6 octobre 2017, n°1618801/6-1

[3] CEDH, 23 janvier 2018, Affaire Afiri et Biddarri contre France, 1828/28

[4] CEDH, 5 juin 2015, Lambert et autres contre France, n°46043/14