BILLET D’HUMEUR – Le secret professionnel, piqûre de rappel : l’autorisation donnée par le patient au médecin n’est pas un fait justifiant la levée du secret professionnel.

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 26/11/2018

Conseil d’Etat, 4e et 1re ch. réunies, 26 sept. 2018, n° 407856.

Isabelle Génot Pok, juriste, consultante du Centre de droit JuriSanté du CNEH.

Il est toujours intéressant de revenir sur les principes fondamentaux qui organisent et protègent la relation entre un professionnel de santé et le patient pris en charge.

On s’aperçoit à la lecture de cette affaire que le secret professionnel est une notion bien plus complexe que ne le pensent les médecins et le Conseil d’Etat vient ici nous le rappeler.

Les faits :

Un médecin chirurgien pratiquant la chirurgie esthétique a, lors de nombreuses consultations et opérations, fait filmer ces actes médicaux afin les diffuser au cours de reportages télévisés avec l’autorisation des patients.

Suite à une plainte portée par le Conseil départemental de l’ordre des médecins, ce dernier inflige au chirurgien une sanction disciplinaire de deux ans d’interdiction d’exercice dont 21 mois avec sursis. La sanction ayant été  confirmée en appel par le Conseil national de l’ordre, le requérant forme un recours en cassation devant le Conseil d’Etat aux fins d’annulation de celle-ci. La sanction devait prendre effet à compter du 1er mai 2017. La haute juridiction confirme la sanction.

Le Conseil d’Etat, dans cette affaire rappelle que même si les patients  « auraient, par leur participation à ce type d’émissions ou leur consentement à l’article de presse mentionné ci-dessus, sciemment recherché la médiatisation et consenti à la révélation de leur identité, le concours apporté par M. A… à la divulgation de l’identité de patientes à l’occasion d’émissions ou d’articles était constitutif d’une méconnaissance des dispositions, citées ci-dessus, de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique, qui prohibent la violation du secret médical. »

Analyse

Sur le secret et l’étendue de son application  

Le Conseil d’Etat confirme la conception absolue du secret (professionnel) médical qu’il fait sienne.

Il rappelle avec justesse que le secret médical couvre « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession[1] », termes de la déontologie médicale. La loi dispose depuis 2002 que « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé[2].»

Dès lors, l’identité des patients est une information secrète par nature ainsi que la possibilité de les identifier lors de la diffusion de leur image.

Sur le consentement du patient à la diffusion de son image

La haute juridiction rappelle ensuite que le consentement des patients ne peut en aucun cas permettre la levée du secret. Il est inopérant et ne peut être la justification du comportement du professionnel quant au manquement à son obligation tant déontologique que légale.

En effet, le secret professionnel, principe posé par la loi ne peut être levé que dans les cas strictement prévus par la loi. Il s’agit ici du principe de parallélisme des formes. Aussi, bien que le patient ait la libre disposition des informations le concernant, il ne peut cependant autoriser le professionnel à en faire de même. Il faut que la loi ait prévu cette possibilité dans le cadre des dérogations « expressément prévues par la loi».

On touche ici à l’essence même du secret professionnel qui dans son concept de protection des intérêts de la personne qu’il concerne, rappelle que le médecin doit s’interdire de divulguer une information malgré le consentement du patient afin d’éviter de porter atteinte à ses intérêts. La confidence au sein du colloque singulier étant le fondement même de confiance nécessaire à la relation de soins. La vertu de cette obligation au secret – bien mal maîtrisée par l’ensemble des professionnels visés par les textes –  impose notamment au médecin de ne pas décider par lui-même ce qu’il ne peut pas maîtriser. En effet, même avec l’accord du patient, la divulgation peut être lui préjudiciable. Il est nécessaire que le médecin se garde de tout jugement en la matière. C’est le sens de la sanction, qu’elle soit disciplinaire ou pénale[3]. Le secret est d’ordre public, ce qui implique, d’une part, qu’il maintient un ordre nécessaire aux relations sociales en préservant la vie privée et l’intimité des personnes qui composent le corps social. Et d’autre part, que seule la loi peut décider des cas dans lesquels il sera obligatoire ou possible de révéler une information couverte par le secret.

Et dans les hypothèses dérogatoires, certaines précisent que l’information ou les données d’un patient ne pourront être divulguées qu’avec l’accord de celui-ci[4]

La situation évoquée dans la décision du Conseil d’Etat ne faisant pas partie de ces dérogations, le médecin ne pouvait participer à la divulgation des informations de ses patients sans violer la loi et contrevenir à son obligation déontologie.

On notera sur ce point, et pour faire écho à la pratique médicale, que le principe fermement rappelé par le Conseil d’Etat s’applique évidemment lors d’entretiens ou consultations avec un patient, lorsque celui-ci est accompagné d’un tiers et ce, quelle que soit la qualité de ce tiers (conjoints, enfants, ami…). Aucune information ou donnée secrète ne peut être divulguée en présence de cette tierce personne, même avec l’accord du patient, excepté si la loi a prévu de manière dérogatoire celle possibilité, (cas de la personne de confiance L11111-6 du CSP, cas d’annonce de dommages associés aux soins L1142-4  du CSP, ou encore cas de diagnostique grave L1110-4 du csp…).

A noter :

Cette affaire nous ramène plus de 20 ans en arrière. En effet, même s’il s’agit de la juridiction judiciaire, le principe selon lequel le patient ne peut délier le  médecin du secret a déjà été jugé dans une affaire célèbre qui concernait le docteur Gübler[5]. Parmi un certain nombre de d’arguments soulevés par les avocats du docteur Gübler, celui relatif à  la renonciation implicite de M. Mitterrand, qui avait fait publier des communiqués sur sa santé à intervalles réguliers, et par la même autorisé son médecin à divulguer une information, ne pouvait constituer une cause de justification de la levée du secret.

Un conseil ?

On ne saurait trop conseiller aux professionnels soumis au secret, les médecins en particulier, de revenir aux textes et à leur sens pour une meilleure application dans leur pratique quotidienne et un comportement adéquat et conforme aux obligations du code de déontologie auquel ils sont soumis.

L’essentiel à retenir dans cette décision

Un principe

Interdiction de révéler ce que le professionnel à entendu, compris, connu, appris, déduit…. sur le patient. Le secret est une obligation de se taire.

Des exceptions

Les dérogations uniquement prévues par la loi et sous conditions strictes permettent de divulguer une information à caractère secret

Une règle fondamentale au regard du patient

Le médecin ne peut disposer de l’information relative à un patient sans que la loi l’ait autorisé.

Le consentement du patient n’est pas en soi un fait justifiant la révélation d’une information ou une donnée couverte par le secret.

[1] Article R4127-4 du code de la santé publique (anciennement art.4 du code de déontologie médicale). « Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu ‘il a vu, entendu ou compris».

[2] Article L1110-4 du CSDP issu de la loi du 4 mars 2002 modifié à plusieurs reprises et notamment par la loi du 26 janvier 2016.

[3] Article 226-13 du code pénal « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende »

[4] Selon la dérogation le consentement du patient sera donné par oral : le signalement avec l’accord de victimes adultes à propos de violences sexuelles présumées (art. 226-14 du Code pénal) ou par écrit : transmission du dossier médical aux les membres de la CDU pour la gestion d’une réclamation d’origine médicale (art. L1112-3 du code de la santé publique)

[5] Jugement du Tri. Corr. de Paris du 5 juillet 1996