Note de jurisprudence – Le licenciement pour faute grave d’un salarié mis à disposition d’un service public qui exprime ses convictions religieuses sur son compte Facebook peut-il être justifié ? (à propos de l’arrêt de la Cour de cassation, Ch. Soc., 19 octobre 2022, n°21-12370) 

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 14/12/2022

Isabelle Génot Pok, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

A l’heure où le service public consolide son dispositif de contrôle des comportements non respectueux de l’obligation de neutralité et du principe de la laïcité[1], le juge de son côté poursuit sa jurisprudence immuable en matière de neutralité dans le cadre de l’obligation de réserve[2] pour les personnes ayant un lien professionnel avec le service public, et ce quel que soit ce lien (statuaire, contractuel, mise à disposition…).

Ainsi, récemment, la Cour de cassation, une fois n’est pas coutume, s’est prononcée sur l’annulation d’un licenciement par le juge d’appel, concernant un salarié de droit privé mis à disposition d’un service d’une collectivité territoriale.

Les faits

Après deux contrats à durée déterminée, un salarié engagé par l’association « mission locale » a été mis à la disposition d’une commune pour exercer ses fonctions de conseiller d’insertion dans le cadre d’un dispositif « seconde chance ». Ce dispositif vise à accompagner des jeunes en difficulté, en leur proposant un accompagnement individualisé et personnalisé leur permettant de s’inscrire dans un parcours d’insertion professionnelle.

Alors qu’il exerce sa mission, le salarié a publié à deux reprises sur son compte Facebook, ouvert au public et sous son propre nom, des commentaires concernant notamment ses opinions politiques et religieuses. Il est licencié pour faute grave pour avoir publié « des propos incompatibles avec l’exercice de ses missions » tels que: « Je refuse de mettre le drapeau … Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu’il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat ».

La procédure

Le salarié demande aux juges d’annuler son licenciement. La Cour d’appel fait droit à sa demande en justifiant sa décision par la discrimination dont il a été victime en ayant été licencié au motif de l’expression de ses opinions politiques et convictions religieuses. Cependant, son employeur, la mission locale, se pourvoit en cassation. Cette fois, la Cour de cassation fait droit à la collectivité publique et casse et annule la décision des juges d’appel. Elle rappelle, d’une part que, les principes de laïcité et de neutralité du service public qui résultent de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Et d’autre part, qu‘il résulte des dispositions du code du travail (article L. 5314-1 et -2) que les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes constituées sous forme d’association sont des personnes de droit privé gérant un service public.

En toute logique, la Cour en déduit que tout salarié de droit privé employé par une mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, constituée sous forme d’association, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et, dès lors, à une obligation de réserve en dehors de l’exercice de ses fonctions. Par conséquent, les propos publiés sur Facebook caractérisaient à eux seuls un manquement à cette obligation de réserve, son licenciement n’est en rien discriminatoire, car il est justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article L.1133-1[3] du code du travail.

Ce qu’il faut en retenir

L’obligation de réserve s’impose à tout agent public, y compris dans sa vie privée, sur internet, sur les réseaux sociaux… Son appréciation varie suivant les fonctions et le contexte dans lesquels l’agent s’est exprimé, notamment la publicité des propos. Un manquement à cette obligation peut donc constituer une faute disciplinaire allant jusqu’à la radiation des cadres ou le licenciement selon le statut juridique de l’agent.

Mais aussi, le travail « éducatif » de l’ensemble des personnes (fonctionnaires agents contractuels, salariés, collaborateurs occasionnel,..) participant au service public quelle que soit la forme juridique de leur participation doit se poursuivre, si ce n’est se mettre en œuvre. Le non-respect des principes de laïcité et de neutralité (tant lors de l’exercice des fonctions qu’en dehors du service public) reste important, soit par méconnaissance, soit par négligence, soit par provocation. Cet arrêt rappelle clairement qu’être intégré au service public est une situation professionnelle qui emporte des obligations. Chacun se doit d’adopter une posture conforme aux valeurs du service public, même dans sa vie privée.

Former, sensibiliser, accompagner les personnes est une des missions du référent laïcité mis en place dans chaque structure publique, depuis le printemps 2022.



[1] Le référent laïcité, un aboutissement législatif logique ou un mal nécessaire? Quid dans les établissements de soins? C. Berthier et I. Génot Pok? Gestions hospitalières, n°616, mai 2022, blog JuriSanté https://www.cneh.fr/blog-jurisante/publications/droits-des-patients-exercice-professionnel-responsabilite/le-referent-laicite-un-aboutissement-legislatif-logique-ou-un-mal-necessaire-quid-dans-les-etablissements-de-soin/

[2] On rappellera que l’obligation de réserve correspond au comportement attendu des agents publics ou toute personne en lien avec le service public de respecter le principe de neutralité de ses opinions politique, philosophique et religieuses hors du champ professionnel. A savoir même dans la sphère privée, si cette expression contrevient aux principes portés par le service public.

[3] L’article L.1132-1 du code du travail ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. (Art. L.1132-1 du code du travail: « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte,…[…]).