Note de jurisprudence – Pas d’accident de service à la suite d’un entretien avec un supérieur hiérarchique ! A propos de l’arrêt de la CAA de Nantes du 16 septembre 2022, n° 21NT03610

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 22/12/2022

Mélanie Dupé, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Ce n’est pas la première fois que la juridiction administrative est sollicitée sur une question de reconnaissance d’accident de service dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique[1].

C’est sur ce point que la Cour administrative d’Appel (CAA) de Nantes a été amenée à se prononcer en septembre 2002. Le juge a alors maintenu sa position quant à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

La clé du dénouement se trouve en effet dans l’évaluation du pouvoir hiérarchique selon si ce dernier est exercé de façon excessive ou bien s’il est guidé par des notions étrangères à l’intérêt du service…

Pour apprécier cela, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs des agents concernés[2] !

Les faits

Un agent affecté dans un établissement hospitalier s’est vu notifier à l’issue d’un entretien avec son chef d’établissement une décision de suspension de fonctions de quatre mois maximum en raison de faits susceptibles de constituer une faute. Cette mesure a été accompagnée d’une saisine du conseil de discipline compétent.

L’agent a été hospitalisé le jour même dans un établissement public de santé mentale en raison de « troubles anxio-dépressifs » et d’«un traumatisme psychologique à la suite d’un entretien conflictuel avec la direction ».

Malgré les avis d’un médecin expert psychiatre et de la commission départementale de réforme favorables à la reconnaissance d’imputabilité de l’évènement (à savoir l’entretien de l’agent avec son supérieur hiérarchique), le directeur de l’établissement a refusé de reconnaitre l’accident comme imputable au service ainsi que les arrêts de travail subséquents par deux décisions.

La procédure et la décision

L’agent a contesté ces décisions devant le Tribunal administratif (TA) de Caen qui les a annulées aux motifs de leur absence de motivation et a enjoint le centre hospitalier de réexaminer la situation de l’agent.

Par une nouvelle décision le directeur du centre hospitalier a refusé de reconnaitre l’imputabilité de l’évènement déclaré ainsi que les arrêts de travail en lien avec ce dernier.

Cette décision a été une nouvelle fois contestée devant le TA de Caen qui a rejeté la demande de l’agent poursuivant ainsi son recours devant la CAA de Nantes.

Cette dernière relève ainsi que la procédure disciplinaire ne s’est pas déroulée dans des conditions anormales, qu’elle ne saurait caractériser un accident de service au sens de l’article 21 bis de la Loi du 13 juillet 1983[3] et que la pathologie de l’agent ne peut être imputée à un fait ou à des circonstances particulières au sein du service pour être prise en charge en accident de service.

En effet, la juridiction administrative rappelle que « sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donnée lieu à un comportement ou à des propos excédants l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, le cas échéants après les avoir suspendus de leurs fonctions à titre conservatoire, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service quelque soit les effets qu’il a pu produire sur l’agent ».

Les seules allégations de l’agent concernant des propos virulents tenus lors de l’entretien sans élément de preuve n’ont pas permis à la CAA de faire droit à sa demande de reconnaissance d’imputabilité.

Ce qu’il faut retenir

C’est au juge administratif d’apprécier les comportements respectifs afin de déterminer si les propos tenus lors d’un entretien dépassent l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Pour ce faire il appartient à l’agent d’établir un faisceau d’indices suffisamment probant[4] (et non de simples allégations) pour démontrer l’excès de pouvoir hiérarchique.

La position prise ici par la CAA de Nantes démontre qu’il ne faut pas confondre exercice du pouvoir hiérarchique dans le cadre d’une procédure disciplinaire et harcèlement moral sans élément de preuve !

Pour autant, la jurisprudence (par nature évolutive) reste divergente à ce sujet: compte tenu de la complexité des cas d’espèces, les décisions sont prises au cas par cas.


[1] CE du 27 septembre 2021 n° 440983

[2] CAA Bordeaux du 27 avril 2018 n° 16BX02407

[3] Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite Loi Le Pors, désormais article L. 822-18 du Code Général de la Fonction Publique pour la définition de l’accident de service.

[4] CE du 22 septembre 2017, n° 399930, dans le cadre d’un faisceau d’indice suffisamment probant pour démontrer l’existence d’un harcèlement moral.