ARTICLE – La jurisprudence en matière de soins sans consentement : De l’ombre à la lumière et inversement

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 11/01/2020

Isabelle GENOT-POK, juriste, consultante du centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°591 décembre 2019 p. 646

La jurisprudence actuelle dans le domaine de la psychiatrie sans consentement est capable de révéler le pire comme le meilleur de l’interprétation de la loi… il doit être bien difficile pour les professionnels des établissements de santé mentale de s’y retrouver.

1/ L’ombre : quand les garants de la loi obscurcissent la compréhension de la norme.

Sans remonter au commencement chaotique de l’application de la loi du 5 juillet 2011 à laquelle personne ne comprenait encore rien, force est de constater que, plus de 8 ans après son entrée en vigueur le texte génère toujours autant de difficultés de lecture et d’interprétation.

On en tiendra pour preuve l’obstination des juges d’instance et d’appel de Versailles à vouloir énoncer ce que la loi n’a jamais écrit.

Ainsi, l’ordonnance du JLD de Versailles en date du 12 juillet 2019 qui lève une mesure de soins sur décision du représentent de l’Etat – SPDRE) au motif que le patient pris en charge sous cette forme juridique depuis plus d’un an n’avait pas bénéficié d’un avis du collège à sa date « anniversaire ». Etonnante interprétation de la loi qui ne prévoit ce dispositif que pour les patients pris en charge en soins sur décision du directeur (SPDT, SPPI ou SPDTU). La loi est on ne peut plus claire sur ce point.

  • L’article L3211-9 du code de la santé publique (CSP) qui prévoit le collège renvoie d’une part à l’article L3212-7 du CSP (il s’agit ici des soins sur décision du directeur – SPDD) qui dispose notamment que : « Lorsque la durée des soins excède une période continue d’un an à compter de l’admission en soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l’état mental de la personne réalisée par le collège mentionné à l’article L. 3211-9. Cette évaluation est renouvelée tous les ans[…]. Le défaut de production d’un des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations mentionnées au présent article entraîne la levée de la mesure de soins. » ;
  • D’autre part, si la réunion du collège est bien mentionnée aux articles L3213-1 III, L3213-IV et L3213-8 du CSP (relatifs aux soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat – SPDRE) c’est uniquement pour ce qui concerne le changement de modalité de prise en charge des patients irresponsables pénaux (à savoir, la proposition de programme de soins, ou la levée de la mesure).

La loi ne prévoie nullement que le collège se réunisse pour analyser la situation des patients en SPDRE depuis un an puis tous les ans comme cela est prévu pour les patients en SPDD.

Chaque renvoi dans cette loi, complexe certes, est cependant bien précis. La cour de cassation a déjà dû rectifier ces interprétations extensives et abusives de la loi en 2017.[1]

Mais encore, la récente décision du Conseil d’Etat étend son interprétation au mépris de la règle stricte du secret professionnel.

Dans son arrêt du 4 octobre 2019 n° 405992, la haute cour administrative pose que le psychiatre qui transmet aux autorités de polices le certificat qu’il a rédigé en vue du prononcé par le préfet d’une hospitalisation sans consentement sur le fondement de l’article L3213-1 du CSP, ne méconnaît pas l’obligation au secret professionnel qui lui incombe, ni le droit du patient au respect du secret des informations le concernant.

Et pour ce faire, il précise que le psychiatre qui envoie aux autorités de police de Marseille le certificat médical ne viole par le secret, quand l’article L3213-2 édicte spécifiquement que les maires ou à Paris les commissaires de police, sont destinataires de ce certificat circonstancié… ! Il n’y a donc que les commissaires de Paris qui sont ici visés et aucun autre commissaire de France.  Autrement dit, en ne transmettant pas directement au maire de Marseille, comme le prévoit le texte, mais à un autre tiers non désigné, le psychiatre devrait être considéré comme ayant violé les règles du secret professionnel visées à l’article L1110-4 du CSP.

Pour illustrer ces questions du secret et de la précision de la loi du 11 juillet 2011, on peut citer l’exemple de l’article L3212-5 du CSP. La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a supprimé l’envoi au préfet de certains documents relatifs aux SPDD. Celui-ci ne reçoit plus que la décision d’admission du directeur et non plus les certificats médicaux ni le bulletin d’entrée. Seule la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) reçoit l’ensemble des documents. Aussi tout envoi supplémentaire au préfet relèverait de la violation du secret puisque la loi ne le prévoit plus.

Il est bien troublant de constater l’absence de réel argument à l’appui de la position du Conseil d’Etat qui se contente de viser les textes, lesquels régissent et protègent les droits du patient. D’autant que récemment le Conseil d’Etat a parfaitement rappelé  dans un arrêt du 26 septembre 2018[2], une des règles du secret professionnel à propos, selon laquelle la volonté du patient ne délie pas en soit le médecin du secret professionnel.

2/ La lumière : lorsque les droits du patient et la loi font l’objet d’une application éclairée par le juge

– Le JLD de Chalon en Champagne dans une ordonnance du 22 juillet 2019 lève une mesure de soins sur demande d’un tiers (SPDT) au motif que le tiers était le supérieur hiérarchique du patient (en l’occurrence militaire) et que cette fonction seule indiquée sur la demande de tiers ne lui conférait pas la qualité nécessaire pour agir dans l’intérêt le patient. Le seul lien hiérarchique ne suffit pas au juge pour prouver un lien d’antériorité et de connaissance de la personne. La nature du lien doit être plus détaillée pour rendre valable la demande de tiers.

– Le JLD de Versailles ordonne le 14 mars 2019 la main levée d’une mesure de SPDRE avec mise en place d’un programme.  Il annule ainsi la décision de réintégration d’un patient en SPDRE pour lequel le certificat médical circonstancié du psychiatre a été jugé, en violation de l’article L3211-11 du CSP, insuffisamment motivé, à défaut d’avoir décrit précisément les troubles mentaux et leur recrudescence et précisé en quoi la poursuite des soins en programme de soins est compromise. Un certificat de cet ordre ne peut en aucun cas faire seulement état de troubles mentaux. Le juge a en effet besoin de comprendre en quoi ces troubles, même accrus, empêchent le patient quel que soit son statut de poursuivre son traitement en programme de soins, donc de circuler librement en dehors de l’établissement.

Par ailleurs, cette ordonnance soulève un autre sujet, celui du libre choix du patient quel que soit son statut en dehors de la situation d’urgence. Sur ce dernier point le juge relève que le patient placé en SPDRE mais compliant aux soins n’a pas à être transféré sans son accord dans un établissement dont il relèverait alors qu’il n’a plus d’attache dans ce secteur.  Le juge relève plusieurs arguments en faveur du libre choix :

  • D’une part l’article L3211-1 CSP dispose de manière générale que tout patient ou sa famille dispose du libre choix notamment de son établissement tant à l’intérieur qu’à extérieur du secteur de référence.
  • D’autre part, la mesure de SPDRE classique dont fait l’objet le patient n’est pas une situation d’urgence, et seule l’urgence viendrait exceptionnellement empêcher le libre choix, (SPDREU sur arrêté provisoire du maire L3213-2),
  • Enfin le patient compliant aux soins en programme de soins souhaitait lui-même rester dans le sud de la France chez sa sœur. Dans ce cas quelle raison justifierait que le patient n’ait pas le libre choix de son établissement d’autant que ce point relève aussi du règlement intérieur de l’établissement d’origine. La question fondamentale d’un point de vue des libertés individuelles est de savoir si les articles L3213-1 et L3222-1 du CSP sont des obstacles à l’exercice du libre choix ?

– La cour d’Appel de Versailles dans un arrêt du 1er août 2019 rappelle à bon droit que la réadmission en hospitalisation complète suite à un programme de soins donne lieu à une audience obligatoire dans les 12 jours de cette réintégration (article L3211-12-1 CSP). Il est également relevé que la réadmission ne peut être mise en œuvre qu’avec un certificat médical circonstancié et la décision administrative correspondante au statut du patient (SPDD ou SPDRE). A également été relevée une absence d’information ou tout du moins de preuve d’information du patient. Dans ce cas la violation des droits fondamentaux de la personne est grave et impose la levée complète de la mesure.

–  Enfin, la cour de Cassation vient de rendre deux arrêts importants dans lesquels elle fait une parfaite application des droits du patient.

Ainsi, dans sa décision du 26 juin 2019 (n°18-12630), elle confirme sa précédente jurisprudence[3] sur la nécessité d’indemniser une personne placée en soins sans consentement à la suite d’un acte administratif irrégulier. Dans cette affaire un patient avait été placé en SPDREU par le maire de la commune de Buc en 2009 sur le fondement de la « notoriété publique ». Mais ce fondement a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le conseil constitutionnel en 2011[4], lequel a censuré ce motif de la loi dans la mesure où il n’apportait aucune garantie de protection des droits de la personne. Or, en 2013 l’acte provisoire a été annulé par le juge alors que celui-ci avait entraîné une hospitalisation en soins libres suite au refus du directeur d’accepter l’arrêté provisoire. La cour de Cassation déclare que l’annulation du SPDREU par le tribunal administratif oblige l’auteur de l’acte à indemniser la personne dont l’atteinte à la liberté individuelle résultant de l’hospitalisation d’office se trouve privée de tout fondement légal quel que soit le bien-fondé de l’hospitalisation. La responsabilité de la commune et du Centre hospitalier est engagée in solidum.

De même, dans son arrêt du 17 octobre 2019 n°18-16-837[5], la cour confirme l’indemnisation d’un patient et de sa compagne pour le préjudice dû à une hospitalisation en soins sur décision du représentant de l’Etat (SPDRE) illégale. Dans cette affaire, et après avoir justement évacué la question de la compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire, réglée depuis 2011,  la cour a notamment relevé que «…cette décision, malgré […] un certificat médical, ainsi que les arrêtés préfectoraux [en dates des … ] sont rédigés en termes généraux ne permettant pas de s’assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Ainsi, ces documents ont caractérisé des irrégularités aux conséquences dommageables affectant ces décisions à l’origine des soins contraints. La cour conclut justement que les parties pouvaient prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à la liberté par l’hospitalisation sur décision du préfet irrégulièrement ordonnée. Dès lors, la privation de liberté d’aller et venir est indemnisée à hauteur de 55 000 euros.

La sanction est importante et exemplaire dans la mesure où une privation de droit illégale et abusive est un acte grave, d’autant qu’elle émane d’une personne représentant de l’Etat et garant de la sécurité publique, mais aussi de la bonne application des textes protégeant les droits des personnes.

3 / Le clair-obscur : lorsque le juge étend de lui-même son champ de compétence

C’est ici la question récurrente de l’examen des décisions d’isolement et de contention dans le cadre des audiences obligatoires devant le Juge des libertés et de la détention (JLD)[6] qui est en jeu.

Sur sa lancée la cour d’Appel de Versailles (quasi seule à maintenir cette Jurisprudence-voir en effet sur ce point JLD de Châlons-en-Champagne dans son ordonnance du 22 juillet 2019[7]) continue d’affirmer que le JLD ou la cour d’Appel sont compétents pour examiner les méthodes mises en œuvre dans le cadre de la prise en charge du patient (isolement et contention), alors que la réforme de 2016 instaurant l’article L3222-5-1 CSP relatif aux conditions de mise en isolement et en contention, n’entre pas dans la compétence attribuée au JLD par la loi de 2011 (article L3216-1 CSP). En effet, l’article L3216-1 définit le champ de compétence du JLD comme étant celui de la loi du 5 juillet 2011, donc uniquement en ce qui concerne les conditions juridiques de l’entrée dans les soins sans consentement, de leur maintien et de leur sortie. L’article L3222-5-1 CSP quant à lui décrit les conditions juridiques d’une pratique de prise en charge dans le cadre des soins ce qui est hors champ de la loi du 2011. La loi de 2016 n’a aucunement modifié le champ de compétence du JLD. Mais force est de constater que les juges versaillais, qui continuent de relever ce motif pour lever des mesures de soins contraints depuis 2016, développent un contrôle contentieux des pratiques d’isolement contention, dans le cadre du contrôle de plein droit des mesures d’hospitalisation sans consentement à temps complet.

Cette évolution sera-t-elle suivie par la Cour de cassation et étendue au niveau national ? On attend une décision de la Haute juridiction sur ce point depuis 2016. Trancher ce point ne sera pas juridiquement simple !

Mais, si la cour de cassation prenait cette voie, les établissements de santé mentale auraient du souci à se faire tant les conditions imposées par l’article L3222-5-1 sont peu connues ou peu respectées dans ce domaine (cf. Les nombreuses observations du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur ce point en particulier).

Ces quelques jurisprudences témoignent de la complexité de la matière, et de la fragilité des normes lorsque leur rédaction prête trop souvent le flanc à l’interprétation.

Comment les hospitaliers pourraient-ils s’y retrouver ?

[1] La cour d’appel de Versailles du 11 octobre 2016 : infirme un maintien d’hospitalisation au motif que l’article L3213-1 du csp impose une garantie de neutralité résultant de la nécessité d’une évaluation médicale pratiquée par un médecin extérieur indépendant de l’établissement. La Cour cassation dans son arrêt du 15 juin 2017 casse l’ordonnance du juge d’appel et rétablit l’application de la loi en rappelant que le CM initial en SPDRE peut être rédigé par un médecin non psychiatre de l’établissement. La CA a ajouté une condition à la loi et l’a donc violée. La Cour compare les deux statuts SPDT/SPI et SDRE au regard des deux textes et précise que pour le SPDT/SPPI, c’est l’appartenance du médecin à l’établissement qui est visée, alors que le SPDRE vise la spécialité du praticien de l’établissement (médecin psychiatre n’appartenant pas à l’établissement d’accueil).

[2] Voir la note publiée sur ce blog ; Le secret professionnel, piqûre de rappel : l’autorisation donnée par le patient au médecin n’est pas un fait justifiant la levée du secret professionnelConseil d’Etat, 4e et 1re ch. réunies, 26 sept. 2018, n° 407856.

[3] 1ère Civ., 23 juin 2010, pourvoi n° 09-66.026, Bull. 2010, I, n° 141.

[4] Décision n° 2011-174 QPC du 6 octobre 2011.

[5] 1ère Civ., 17 octobre 2019, pourvoi n° 18-16.837

[6] CA. de Versailles, 30 juillet 2019, ordonnances de levée, n°19/05549  et n°19/05551; JLD Versailles ordonnance du 16 aout 2019, CA de Versailles 16 juin 2017, n°17/04374, TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 4 mai 2017, n°17/00699., TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 24 mai 2017, n°17/00813., TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 20 juin 2017, n°17/00996. TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 23 juin 2017, n°17/01010. CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 29 mai 2017, n°17/04051. TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 29 juin 2017, n°17/01044. TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 7/07/2017, n°17/01092. TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du10/07/2017, n°17/01081. C.A. de Versailles, ordonnance de mainlevée du 16 juin 2017, n°17/04374. TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 03 juillet 2017 ;

[7]A propos d’un registre des isolements et contentions produit en cours de délibéré, le JLD a juste vérifié que la décision a bien été prise par un psychiatre ou sous son contrôle par un interne. L’article L3222-5-1 du Csp n’entrant pas dans les compétences du JLD, il ne peut opérer un contrôle de légitimité sur la décision d’isolement.

Rappels sur les règles relatives au secret professionnel sur les soins

1 – tous les patients ont le droit au respect du secret des informations les concernant.

2 – seuls les professionnels de l’équipe de soins [ cf article L1110-12 du CSP] peuvent se partager l’information strictement nécessaire concernant un patient prise en charge.

3 – le partage hors équipe de soins [à savoir vers une autre équipe de soins ou vers un autre professionnel avec lesquels la loi autorise le partage] ne peut se faire qu’avec le consentement préalable du patient.

4- en dehors de ces cas de partage (précités aux 2 et 3) prévus par la loi il faut qu’un texte légal prévoie une dérogation au secret professionnel. L’article L3213-2 du CSP en est une : le maire ou à Paris les commissaires de police sont autorisés à recevoir les informations médicales nécessaires à la prise d’une décision administrative de soins contraints et ce uniquement en cas d’urgence.

La nature d’une dérogation est d’être d’interprétation stricte et non approximative. Seules les personnes visées sont concernées par la dérogation.