Note de jurisprudence – Rappel du Conseil d’Etat : le consentement du patient est requis pour le partage d’informations hors équipe de soins (à propos de l’arrêt du 15 novembre 2022, n°441387)

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 29/11/2022

Aude Charbonnel, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Faits 

Une personne victime d’un accident de circulation a assigné une société d’assurance devant le tribunal, dans le cadre d’une procédure d’indemnisation.

Le juge a alors désigné un expert judiciaire lui demandant notamment de recueillir « toute information orale ou écrite des parties : se faire communiquer puis examiner tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime », tout en précisant que « la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l’accord de la personne concernée ».

Or, le médecin-conseil de la société d’assurances couvrant le poids-lourd impliqué dans l’accident a communiqué à l’expert judiciaire désigné par le juge des référés le rapport d’expertise réalisé lors de la procédure amiable par le médecin-conseil de la société assurances auprès de laquelle la victime était assurée, sans que cette dernière n’ait donné son accord préalablement à cette communication.

Procédure

La victime a porté plainte devant la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins contre le médecin-conseil désigné par la société d’assurances du poids-lourd pour violation du secret médical dans le cadre de cette expertise judiciaire. 

La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins dans une décision du 16 mars 2020, attaquée par la victime de l’accident de la circulation, a considéré que « la communication d’un rapport d’expertise, réalisé dans le cadre de la procédure d’indemnisation amiable, par un médecin-conseil d’une compagnie d’assurance au médecin chargé d’une expertise médicale par le juge des référés d’un tribunal de grande instance aux fins d’évaluer le préjudice subi par une victime, sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable à une telle transmission, n’est pas constitutive d’une méconnaissance des dispositions » du code de la santé publique, « dès lors que l’obligation de respecter le secret médical s’appliquait aux deux médecins et que l’échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice ».

Textes applicables

  • Article L1110-4 du code de la santé publique (CSP)

Cet article pose le cadre juridique du secret professionnel et le partage ou l’échange d’information : « Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, (…) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel. Un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social. Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins, au sens de l’article L1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Ces informations sont réputées confiées par la personne à l’ensemble de l’équipe. Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d’informations nécessaires à la prise en charge d’une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La personne est dûment informée de son droit d’exercer une opposition à l’échange et au partage d’informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment ».

  • Article L1110-12 du CSP

Cet article définit l’équipe de soins :

  • Article R4127-4 du CSP

Cet article porte sur la déontologie médicale : « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.  Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

  • Article 275 du code de procédure civile

Cet article est consacré aux opérations d’expertise : « Les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l’expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l’état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l’expert ».

Décision

Selon le Conseil d’Etat, en statuant ainsi la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a entaché sa décision d’erreur de droit car :

  • d’une part, les professionnels de santé ne faisaient pas partie de la même équipe de soins donc le consentement préalable de la personne était nécessaire ;
  • et, d’autre part, l’article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger aux règles posées à l’article L1110-4 du CSP.

Par conséquent, la Haute juridiction a annulé la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins du 16 mars 2020.

Commentaire

Cette récente décision du Conseil d’Etat nous permet de rappeler les règles d’or du partage de l’information entre les professionnels.

  • Le partage d’informations entre professionnels est une exception au secret professionnel ;
  • Il est soumis à un régime juridique strict ;
  • Deux situations sont prévues par le code de la santé publique :
    1. Les professionnels appartiennent à la même équipe de soins = pas de consentement préalable.
    2. Les professionnels ne font pas partie de la même équipe de soins = consentement préalable.