Note de jurisprudence – Le Conseil constitutionnel confirme la possibilité pour les médecins de déroger aux directives anticipées d’un patient (à propos de la décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022)

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 10/11/2022

Aude Charbonnel, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

La décision du Conseil Constitutionnel était très attendue alors que le débat sur la fin de vie reprend avec le lancement prochain de la convention Citoyenne[1].

Faits et procédure :

Le patient a été victime en mai 2022 d’un polytraumatisme grave compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après son écrasement par un véhicule utilitaire, ayant causé une absence d’oxygénation du cerveau durant plusieurs minutes.

Admis dans un service de réanimation et placé dans le coma, l’état du patient a été considéré comme insusceptible d’amélioration. L’équipe médicale a estimé que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable. Elle a donc engagé la procédure collégiale prévue à l’article R4127-37-2 du code de la santé publique (CSP), conduisant à la décision, le 1er juin 2022, de procéder à l’arrêt des soins et des traitements le 9 juin.

Cependant, l’exécution de cette décision a été suspendue par une ordonnance du 8 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lille en raison de l’existence d’une lettre manuscrite datée de 2020, adressée par le patient à son médecin traitant, qui n’avait pas été portée auparavant à la connaissance des équipes et dont la validité n’est pas critiquée. Ce courrier fait connaître les « directives anticipées dans le contexte médical » du patient, notamment son souhait, dans l’hypothèse où il ne serait plus en mesure de s’exprimer, d’être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

La procédure collégiale a ensuite été reprise et après plusieurs réunions, nouveaux examens et consultations extérieures, le maintien des actes et traitements est apparu à l’équipe médicale inutile et même disproportionné et comme n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie sans aucune perspective raisonnable d’amélioration.

Dès lors, une nouvelle décision d’arrêt des soins, écartant les directives anticipées du patient comme manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation médicale, a été actée le 15 juillet 2022 par le chef du service de réanimation et portée à la connaissance des proches du patient qui s’y sont opposés.

Le Conseil constitutionnel a finalement été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions de l’article L1111-11 du CSP par le Conseil d’Etat[2].

Décision :

Le Conseil constitutionnel pose 4 affirmations :

1. Il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie hors d’état d’exprimer sa volonté dès lors que ces conditions ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi.

2. Les dispositions contestées ne permettant au médecin d’écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient ne sont ni imprécises ni ambiguës.

3. La décision du médecin ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale destinée à l’éclairer. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches.

4. La décision du médecin est soumise, le cas échéant, au contrôle du juge.

En conclusion, le Conseil Constitutionnel retient que le législateur n’a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle. Les griefs tirés de leur méconnaissance doivent donc être écartés. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté de conscience ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Le cadre juridique actuel relatif aux directives anticipées ne sera donc pas modifié… jusqu’à la prochaine grande réforme sociétale sur la fin de vie ?


[1] Le 13 septembre 2022, le Président de la République a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne sur la fin de vie dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental (https://www.lecese.fr/convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie)

[2] Conseil d’Etat, ordonnance n° 466082 du 19 août 2022