Attention à la conservation de vos dossiers médicaux !

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 01/10/2018

La perte du dossier médical inverse la charge de la preuve et impose à l’établissement de santé privé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés

A propos d’un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 26 sept. 2018, n° 17-20.143)

 Par Aude CHARBONNEL,  juriste, consultante du centre de droit JuriSanté du CNEH

Au cours d’un accouchement réalisé au sein d’une polyclinique, le médecin a utilisé des spatules de Thierry afin de procéder à l’extraction de l’enfant qui présentait des troubles du rythme cardiaque. A la suite de l’accouchement, la mère de l’enfant a présenté une lésion du périnée entraînant des incontinences urinaire et anale. Elle a alors saisi la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI). L’expert désigné a alors relevé qu’il n’avait pas été aidé dans sa mission d’expertise par la perte du dossier de l’accouchement. Ainsi, cette absence totale de dossier médical a privé les parties de la possibilité d’établir les circonstances de la survenue de la lésion du périnée présentée par la patiente. Par conséquent, la Cour de cassation[1] a considéré qu’une telle perte, qui caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement, place le patient dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge. Il appartenait alors à la clinique de fournir les éléments permettant de retracer le déroulement précis de l’accouchement et de rapporter la preuve qu’il avait été réalisé dans les règles de l’art. En conclusion, cela conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés. Ainsi, la cour d’appel a justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l’intéressée la chance d’obtenir la réparation de son dommage corporel qu’elle a souverainement évalué à hauteur de 75 % des préjudices en résultant.

Cette jurisprudence rappelle l’importance d’une conservation rigoureuse des dossiers médicaux en toutes circonstances, afin d’apporter la preuve de la qualité de la prise en charge.

Et du côté des établissements publics de santé ?

En 2010, le juge administratif reconnaissait, pour la première fois, que le défaut de communication du dossier médical auquel un patient a droit suffisait, en lui-même, à lui causer un préjudice moral indemnisable (CAA Lyon 23 mars 2010, n°07LY01554)[2].

Il a depuis, à de nombreuses reprises, confirmé son analyse[3] sans toutefois aller jusqu’au renversement de la charge de la preuve opéré par le juge judiciaire comme en témoigne cette jurisprudence de 2014 : s’il n’est pas établi que la perte d’une partie du dossier médical de la patiente ait fait perdre à cette dernière une chance sérieuse d’établir l’origine de ses dommages, il ressort de l’instruction que cette dernière a subi un préjudice moral certain du fait de la non communication, à laquelle elle avait droit, de ces pièces contenant notamment des informations sur les prescriptions médicamenteuses reçues et les signes cliniques qu’elle présentait avant que l’ischémie mésentérique ne soit diagnostiquée ; qu’il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en fixant à 2 000 euros le montant de l’indemnité que devra lui verser l’établissement public de santé à titre de réparation (CAA Paris, n° 14PA00078, 19 décembre 2014).

NB : Par ailleurs, les dossiers médicaux étant désormais largement informatisés, il ne faut pas oublier que le non-respect des exigences de protection des données médicales peuvent être sanctionnées au regard du Règlement européen relatif à la protection des données (RGPD), en application depuis mai 2018 en France. Ainsi, le RGPD impose une procédure en cas de perte de données à caractère personnel, définie comme la violation de données, qui implique d’emblée de signaler cet événement à la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de prévenir le patient, dans les meilleurs délais, si cette violation de données à caractère personnel est susceptible d’engendrer un risque élevé pour ses droits et libertés.

Conseils :

Veillez à conserver les dossiers de manière pérenne, lisible, accessible durant le délai minimal de conservation[4].

Vérifiez régulièrement le niveau de sécurité de votre système d’information contenant des données de santé.

Sensibilisez les professionnels au respect des obligations individuelles liées à la tenue, à la protection, à la sécurisation et à la conservation du dossier médical.

[1] Concernant la procédure : la polyclinique et son assureur refusent d’indemniser la patiente suite à la décision de la CCI. Subrogée dans ses droits, l’Office National d’Indemnisation des victimes d’Accidents Médicaux (ONIAM) leur demande le remboursement des sommes versées. Ces derniers se sont alors pourvu en cassation

[2] « Le dossier médical archives hospitalières, sous le feu de l’actualité juridique, Arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon 23 mars 2010, n° 07LY01554 », Isabelle Génot-Pok, Actualités JuriSanté, septembre-octobre 2010, pp. 37-38 http://www.jurisante.fr/wp-content/uploads/2014/10/AJS_71.pdf

[3] Par exemple : CAA Paris, 12 novembre 2012, n°10PA03678

[4] Article R1112-7 du CSP : Le dossier médical est conservé pendant une durée de 20 ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l’établissement ou de la dernière consultation externe en son sein. Lorsqu’en application des dispositions qui précèdent, la durée de conservation d’un dossier s’achève avant le 28ème anniversaire de son titulaire, la conservation du dossier est prorogée jusqu’à cette date. Dans tous les cas, si la personne titulaire du dossier décède moins de 10 ans après son dernier passage dans l’établissement, le dossier est conservé pendant une durée de dix ans à compter de la date du décès. Ces délais sont suspendus par l’introduction de tout recours gracieux ou contentieux tendant à mettre en cause la responsabilité médicale de l’établissement de santé ou de professionnels de santé à raison de leurs interventions au sein de l’établissement.