Article – Violences en établissements de santé et médico-sociaux : des chiffres et des outils

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 17/02/2023

Céline Berthier et Aude Charbonnel, consultantes au centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 622 – janvier 2023

Soignants agressés, médecins menacés ; les professionnels des établissements sanitaires et médico-sociaux dénoncent des faits de violence, d’incivilité, de malveillance de plus en plus fréquents. Le thème de la violence est devenu central dans notre système de santé, impactant directement la qualité de la vie au travail des professionnels et, par un effet domino, ne permettant pas d’offrir une qualité des soins optimale aux patients et aux résidents. Comme le souligne le Ministère de la santé : « L’hôpital est par nature un lieu où l’angoisse, la tension, l’émotion sont toujours très présentes et aboutissent, parfois, à des actes violents. Ces actes génèrent bien souvent une grande incompréhension et parfois de vraies difficultés professionnelles chez les personnels hospitaliers, dont la mission consiste précisément à venir en aide aux patients et à leurs proches. Les actes violents y apparaissent donc d’autant plus intolérables (…).»[1]
L’Observatoire National des Violences en milieu de Santé (ONVS)[2] publie chaque année un rapport recensant les violences subies au quotidien par les professionnels de santé[3]. Dans la foulée de la parution de l’édition 2022, fin novembre, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a annoncé une série de mesures : « Tout doit être mis en œuvre pour que les professionnels de santé puissent travailler dans un climat de sérénité et donc en toute sécurité. C’est la condition indispensable à une offre de soins homogène et de qualité sur tout le territoire national »[4].
Quels sont les remontées du terrain et quelles solutions peuvent être apportées ?

1 – L’état des lieux

Dans ses rapports, l’ONVS prend en compte l’ensemble des violences commises dans un cadre relationnel entre toute personne fréquentant un établissement ou y résidant et pas uniquement les « violences externes », sachant qu’elles peuvent être dues à tel ou tel ressenti, comportement, pathologie, trouble cognitif, etc.
Le rapport 2022 de l’ONVS traite des violences commises en 2020 et en 2021, durant cette période particulière marquée par la crise sanitaire. D’emblée, il convient de souligner qu’il y a eu une forte baisse du nombre d’établissements déclarants et du nombre de signalements.

a. L’impact de la crise sanitaire


L’Observatoire constate que la crise sanitaire a limité l’accès libre dont les usagers bénéficiaient auparavant pour se rendre dans les établissements de soins : « Il semble que c’est la première fois que l’hôpital, surtout en MCO [médecine, chirurgie, obstétrique], a été « fermé » avec un contrôle strict puis un filtrage permanent. La mise en œuvre de ces deux mesures, limitant ainsi les flux non contrôlés dans les établissements de soins, est certainement à l’origine d’une baisse des atteintes aux biens et aux personnes déclarées et semble avoir participé également à une baisse de l’insécurité ressentie ». Mais en parallèle, toutes les restrictions mises en place (interdiction des visites, gestes barrières, contrôle du pass sanitaire…) ont aussi été l’occasion de faire émerger ou de renforcer divers types de réactions d’atteintes aux personnes et aux biens.

b. L’analyse des données

 Nombre de signalements réalisésNombre d’établissements déclarants
202119 328391
202019 579383
201923 780451

Les structures qui ont déclaré le plus de violences (+46%) sont :

  1. 1 – La psychiatrie
  2. 2 – Les Unités de Soins de Longue Durée/Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes
  3. 3 – Les urgences

Le recueil des signalements intègre une échelle de gravité reprenant les actes de violence tels que hiérarchisés dans le code pénal. Ils sont différenciés selon les atteintes aux personnes ou les atteintes aux biens puis déclinés par niveau de gravité.

 Atteinte aux personnesAtteinte aux biens
Niveau 1Injures, insultes et provocations sans menaces (propos outrageants, à caractère discriminatoire ou sexuel), consommation ou trafic de substances illicites (stupéfiants) ou prohibées en milieu hospitalier (alcool), chahuts, occupations des locaux, nuisances, salissuresVols sans effraction, dégradations légères, dégradations de véhicules sur parking intérieur de l’établissement (hors véhicules brûlés), tags, graffitis
Niveau 2Menaces d’atteinte à l’intégrité physique ou aux biens de la personne, menaces de mort, port d’armes (découverte d’armes lors d’un inventaire ou remise spontanée ou présence indésirable dans les locaux)Vols avec effraction
Niveau 3Violences volontaires (atteinte à l’intégrité physique, strangulation, bousculades, crachats, coups), menaces avec arme par nature (arme à feu, arme blanche) ou par destination (scalpel, rasoir, tout autre objet), agression sexuelleDégradation ou destruction de matériel de valeur (médical, informatique, imagerie médicale, etc.), dégradations par incendie volontaire (locaux, véhicules sur parking intérieur de l’établissement), vols à main armée ou en réunion (razzia dans le hall d’accueil, etc.).
Niveau 4Violences avec arme par nature (arme à feu, arme blanche) ou par destination (scalpel, rasoir, couverts, tout autre objet : lampe, véhicule, etc.), viol et tout autre fait qualifié de crime (meurtre, violences volontaires entraînant mutilation ou infirmité permanente, etc.) 

Les violences physiques (niveau 3) et menaces avec arme ont représenté 50,9% des atteintes aux personnes en 2020 et 46,7% en 2021.

Concernant les données relatives aux victimes d’atteintes aux personnes :

  • Les personnels des établissements représentent + de 83% du total et parmi eux :
    • Plus de 93 % sont des professionnels de santé. Les personnels paramédicaux sont les principales victimes puisqu’ils représentent 92% des victimes et les médecins 8%.
    • Plus de 5 % sont des personnels administratifs.
  • Les patients représentent plus de 8 % des victimes.

Quant aux atteintes aux biens, en 2020 comme en 2021, les vols sans effraction et les dégradations légères sont majoritairement les plus importants (91% et 90,6%).

Enfin, les auteurs de ces violences sont en très grande majorité des patients (+70 %) puis les accompagnateurs et visiteurs (+16%).

Les principaux motifs de violence recensés sont : un reproche relatif à la prise en charge du patient (+ de 48 %), un refus de soins (+ de 21,5 %), un temps d’attente jugé excessif (+ de 8,5 %), une alcoolisation (+ de 6,3 %), un règlement de comptes et conflits familiaux (+ de 4,5 %).

Concernant les violences entre les professionnels, ce sont essentiellement des violences verbales mais aussi psychologiques et plus rarement physiques, détaille l’Observatoire. 

En tout état de cause, la mise en place de toute solution pour lutter contre les violences est conditionnée à deux éléments essentiels :

  • L’analyse des signalements internes afin d’identifier la fréquence et les types de violences ;
  • L’implication de tous les acteurs de l’établissement afin de faire face ensemble, chacun à son niveau de responsabilité.

Enfin, il ne faut jamais relativiser ou minimiser le ressenti des professionnels de santé : on constate une grande méconnaissance de leurs parts des droits dont ils bénéficient pour leur protection et des moyens à mettre en œuvre lorsqu’ils sont agressés alors que cette protection est réellement indispensable pour les aider à accomplir leur mission dans des conditions sereines. Par ailleurs, l’établissement dispose de toute une palette d’outils à mettre en place en cas de violence.

2 – Une boîte à outils de plus en plus étoffée

Si la protection fonctionnelle est l’outil de prédilection en matière de violence envers les agents afin de réparer les préjudices subis, elle n’est aujourd’hui plus le seul dispositif à portée des établissements. De nouvelles mesures en faveur de la prévention et de l’accompagnement des agents se sont mis en place pour un tenter de constituer un parapluie le plus large dans ce domaine.

a. La protection fonctionnelle

Désormais prévue par les articles L134-1 à 12 du Code Général de la Fonction Publique, la protection fonctionnelle est un droit intrinsèque des agents publics, qu’ils soient titulaires, stagiaires, contractuels voire collaborateurs occasionnels. Depuis la loi du 20 avril 2016[5], cette protection fonctionnelle a même été élargie aux conjoints et ayants-droits de l’agent.

Si le terme de protection fonctionnelle est bien connu de tous, le concept en lui-même est plus obscur et peu d’agents savent réellement ce qu’il recouvre et comment en bénéficier.

Prévue notamment pour les agents victimes d’infraction à l’occasion ou en raison de leurs fonctions, la protection fonctionnelle consiste en une réparation des préjudices subis et une assistance juridique par l’établissement. Celui-ci va ainsi constituer une sorte de rempart auprès de l’agent victime et lui assurer sa protection qui peut prendre différentes formes, de l’aide pour un dépôt de plainte à l’assistance d’un avocat pour les actions civiles ou pénales en passant par la réparation des préjudices de tous ordres.

Pour en bénéficier, l’agent doit en formuler la demande par écrit auprès du directeur d’établissement de manière factuelle, précise, détaillée et datée afin de permettre à l’établissement d’apprécier la véracité des faits et de se positionner sur cette demande.

Cette demande n’est pas limitée dans le temps.

Il est ainsi du devoir de l’établissement de protéger les agents de toutes les attaques dont ils seraient victimes : atteintes volontaires à l’intégrité physique, violences, harcèlement, menaces, injures, diffamations, outrages, atteintes aux biens sans que cette liste soit limitative.

Les attaques, qu’elles aient lieu pendant ou en dehors du temps et lieu de travail, peuvent être physiques ou morales, écrites ou verbales, adressées individuellement à l’agent ou diffusées plus largement.

Charge à l’établissement d’analyser la nature des faits et du préjudice et de s’assurer que la cause n’est pas le comportement fautif et personnel de l’agent.

Comme toute demande dans le cadre des relations agent/employeur public, l’établissement dispose de deux mois pour répondre favorablement ou non. L’absence de réponse passée ce délai s’assimile à une décision implicite de refus qui peut être contestée devant le juge administratif.

Mais au-delà de cet arsenal juridique et réparateur que l’établissement se doit de dégainer lorsque l’agent est victime, l’établissement se doit d’empêcher que de telles attaques se produisent et assurer la protection de l’agent en amont.

C’est en tout cas en ce sens que, depuis quelques années, l’arsenal des outils de protection s’est étoffé, entre dispositifs de signalement et nomination de référents.

b. Des outils de prévention

Cette obligation de prévention peut tout d’abord prendre la forme de mesures simples et concrètes pour protéger l’agent ou ses proches de potentielles ou futures attaques comme un aménagement de planning ou un changement de service.

En tout état de cause, une réflexion institutionnelle doit être menée sur cette thématique et intégrée dans le projet d’établissement.

Dans un guide méthodologique sur la prévention des atteintes aux personnes et aux biens en milieu de santé publié en 2017 (et toujours d’actualité !) par la Direction Générale de l’Offre de Soins et l’ONVS, des conseils précieux sont formulés pour aider les structures à développer une politique de prévention. Il y est rappelé qu’il existe trois niveaux de prévention :

  • La prévention primaire : prévenir le fait avant qu’il ne se manifeste (en agissant sur l’environnement et l’organisation)
    • La prévention secondaire : se concentrer sur les réactions immédiates à la survenue d’un fait et la formation à la gestion des situations à risques
    • La prévention tertiaire : après un événement, se concentrer sur la prise en charge, l’accompagnement et la réparation (soins, corrections, etc.) dans la durée.

Et six actions concrètes :

  • Analyser : analyser systématiquement et de manière exhaustive les atteintes aux personnes, aux biens, afin d’objectiver et de reconnaître les situations à risques, sortir du « ressenti » et dégager la pluri-causalité de ces agressions.
    • Accompagner : développer la prise en charge et l’accompagnement des victimes d’agressions, tant sur le plan médico-social, psychologique, professionnel que juridique.
    • Concevoir : faire évoluer l’organisation du travail et la gestion de la relation avec les usagers.
    • Organiser : améliorer l’ergonomie, la propreté, le confort et la fluidité des lieux d’accueil du public, mais aussi la sécurité des lieux, des postes de travail et des accès aux locaux de l’établissement. Adapter le travail à l’homme, tenir compte de l’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui l’est moins.
    • Former : former régulièrement ses salariés et se former pour maîtriser les procédures de gestion des risques auxquels les professionnels de santé sont confrontés, mais aussi gérer les situations conflictuelles et désamorcer la violence des usagers.
    • Communiquer : mettre en place plusieurs niveaux de communication adaptés aux objectifs visés, en différenciant le court terme du long terme.

La prévention s’est récemment focalisée sur un domaine précis, celui du harcèlement et de la discrimination, moral(e) ou sexuel(le) et des agissements sexistes, avec la mise en place d’un dispositif de signalement permettant aux agents victimes comme aux témoins de faire remonter ces faits.

5ème axe de l’Accord du 30 novembre 2018 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique et prévu par un décret du 13 mars 2020[6], ce dispositif impose aux établissements de mettre en place des fiches de signalement, à l’instar de celles des événements indésirables liés aux soins, pour recueillir les témoignages d’agents victimes ou témoins de tels actes.

Charge à l’établissement de traiter ces signalements, en en garantissant la confidentialité, pour faire cesser les faits incriminés, accompagner les agents vers les services spécialisés si besoin et réparer les préjudices.

C’est en quelque sorte une nouvelle forme de protection fonctionnelle dans le domaine particulièrement sensible du harcèlement moral et sexiste.

Un bilan de ces signalements et des mesures mises en place en conséquence par l’établissement sera l’objet d’un chapitre du plan Egalité que les établissements doivent rédiger, sous peine de pénalités financières telles que le prévoit le décret du 4 mai 2020 instaurant ce plan[7].

En parallèle de ces mesures, certes protectrices mais aux contours très administratifs, l’Etat a pris soin d’incarner le dispositif avec la nomination de référents pour conseiller et guider les agents dans les difficultés qu’ils pourraient rencontrer dans l’exercice de leurs missions.

Que ce soit dans le domaine de l’égalité [8], de la laïcité [9] ou encore de la déontologie [10], ces référents ont des missions de prévention, de communication chacun dans leur domaine mais ils ont également (et surtout) vocation à être une écoute, un conseil et un guide sur les démarches à entreprendre pour les agents victimes avant que ceux-ci ne saisissent l’établissement. Neutralité et confidentialité sont les maîtres mots pour ces référents, oreilles attentives auprès des agents pour les aider à mettre des mots sur leurs maux et les accompagner sur les démarches à entreprendre.

Suite à la publication du dernier rapport de l’ONVS, Agnès Firmin Le Bodo,  Ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, a annoncé un travail sur ces violences autour de 4 axes :

  • la « refonte » du signalement à l’ONVS grâce à une nouvelle plateforme en ligne plus identifiable et accessible,
  • la mobilisation conjointe des établissements, des ordres et des forces de sécurité pour accompagner les soignants face aux violences avec la prochaine parution d’une circulaire rappelant les grands principes de la protection fonctionnelle, la mobilité accrue des services et le renouvellement des conventions santé-sécurité-justice en les adaptant aux outils numériques,
  • la diffusion des principes de sécurité bâtimentaire, grâce à la publication d’un guide à paraître sur le sujet,
  • la concertation des représentants des agences régionales de santé (ARS), des établissements publics et privés, des ordres, des forces de l’ordre, de la justice, des étudiants, des organisations syndicales, des métiers de la sûreté et de la sécurité incendie, ainsi que des membres de la Conférence nationale de santé.

Autant de mesures qui viendront renforcer les dispositifs existants au sein des établissements et tenter d’harmoniser les pratiques, notamment en matière de protection fonctionnelle qui demeure encore sans doute méconnue. Constatant une certaine disparité entre les établissements pour remplir cette « compétence de sécurité », l’ONVS souhaite en particulier que cette mesure soit davantage mise en mouvement pour la reconstruction des agents victimes.

Quel impact pour ces nouvelles mesures ? Quel écho dans les établissements qui affrontent une énième vague de crise sanitaire et accueillent les maux de notre société ?

Au futur bilan de l’Observatoire National des Violences en milieu de Santé de nous le dire, le rendez-vous est pris pour 2023.


[1] https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/ameliorer-les-conditions-d-exercice/observatoire-national-des-violences-en-milieu-de-sante/dgos-onvs

[2] L’ONVS a été créé en 2005 et est placé au sein de la Direction générale de l’offre de soins du Ministère de la santé. Il a pour mission de coordonner et d’évaluer les politiques mises en œuvre par les différents acteurs sur l’ensemble du territoire afin de garantir la sécurité des personnes et des biens à l’intérieur des établissements concernés.

[3] Nota : Ces signalements, publiés sur base du volontariat des établissements de santé, ne sont donc pas exhaustifs.

[4] Guide pratique pour la sécurité des professionnels de santé, Ministère de l’Intérieur, novembre 2011

[5] Loi no 2016-483 du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations du fonctionnaire, JORF no 94 du 21 avril 2016, texte no 2.

[6] Décret n° 2020-256 du 13 mars 2020 relatif au dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique – JO n° 0064 du 15 mars 2020

[7] Décret n° 2020-528 du 4 mai 2020 définissant les modalités d’élaboration et de mise en œuvre des plans d’action relatifs à l’égalité professionnelle dans la fonction publique

[8] Circulaire du 30 novembre 2019 relative à la mise en place de référents Egalité au sein de l’Etat et de ses établissements publics

[9] Décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique

[10] Décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique et article L124-2 du Code Général de la Fonction Publique