Article – Réforme de l’isolement et de la contention en psychiatrie : un texte avec (ou sans) « clause de revoyure » ?

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 02/03/2021

Aude Charbonnel, juriste, consultante au Centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°603 – février 2021

Le Conseil constitutionnel avait donné au législateur 6 mois pour réformer le dispositif juridique de l’isolement et de la contention. Le calendrier a été respecté mais le résultat est décevant : (encore), un texte rédigé dans la précipitation, sans concertation et à l’application difficile en psychiatrie[1]!

Pour rappel, le Conseil constitutionnel avait été saisi le 6 mars 2020 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L3222-5-1 du code de la santé publique sur l’isolement et la contention psychiatriques (créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé).

A l’occasion de ce contrôle, le Conseil constitutionnel a précisé que : « dans le cadre d’une prise en charge dans un établissement assurant des soins psychiatriques sans consentement, l’isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l’immobiliser. Ces mesures ne sont pas nécessairement mises en œuvre lors d’une hospitalisation sans consentement et n’en sont donc pas la conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de la personne ». Compte tenu de ces éléments, les Sages ont jugé que « l’isolement et la contention constituent une privation de liberté ». « Il s’ensuit que ces mesures, à l’instar de l’hospitalisation complète, doivent être soumises aux exigences découlant de l’article 66 de la Constitution », à savoir que « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Tirant les conséquences de la nature privative de liberté de ces mesures, le Conseil constitutionnel a déclaré qu’en l’absence de précision relative à leur durée maximale et à l’intervention systématique d’un juge pour en ordonner la poursuite passée cette durée, l’article L3222-5-1 du code de la santé publique était contraire à la Constitution. Toutefois, une abrogation immédiate de ce texte aurait entraîné des conséquences manifestement excessives puisque cela aurait fait obstacle à toute possibilité de mesure d’isolement ou de contention des personnes admises en soins psychiatriques. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel avait reporté la date de l’abrogation au 31 décembre 2020. Et c’est l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (du 14 décembre 2020) qui donne un nouveau cadre juridique aux pratiques d’isolement et de contention en psychiatrie.

Avant de présenter le nouveau cadre légal, quelques remarques liminaires :

Premièrement, on peut s’étonner de trouver un tel texte dans une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). En effet, aux termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Cela ressemble fort à un cavalier social ! Mais comme souligné plus haut il y avait urgence à adapter le dispositif juridique de l’isolement et la contention suite à la censure du Conseil constitutionnel…

Deuxièmement, fait étonnant, cette LFSS n’a pas été transmise au Conseil Constitutionnel pour le traditionnel contrôle a priori de constitutionnalité ! Par conséquent, doit-on redouter une nouvelle censure des Sages sur ce dispositif juridique d’isolement et de contention en soins sous contrainte, dans le cadre de la procédure des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ?

Troisièmement, comme trop souvent, les décrets d’application risquent de se faire désirer, laissant les professionnels de santé dans l’embarras (ici notamment en ce qui concerne les modalités d’information du juge).

Le nouveau cadre légal

L’article L3222-5-1 du code de la santé publique a donc été réécrit dans la dernière LFSS. Il a été considérablement étoffé.

  • Dans la 1ère partie de l’article, le législateur complète le texte de 2016 avec des éléments de bon sens.

Sans surprise, le législateur maintient la règle selon laquelle l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Puis il apporte une précision importante : ces pratiques ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement, c’est-à-dire admis sur décision du directeur (à la demande d’un tiers, à la demande d’un tiers en urgence ou en cas de péril imminent) ou sur décision d’un représentant de l’état.

Ensuite, le nouvel article L3222-5-1 dispose qu’il ne peut être procédé à ces mesures que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Il est clair depuis la loi de 2016 que cette mesure privative de liberté ne vise qu’à sécuriser le patient, ou autrui, dès lors qu’aucun autre moyen n’est plus envisageable. Cela oblige l’équipe à envisager d’autres moyens de prise en charge avant la mesure d’isolement et, éventuellement, l’utilisation d’une contention. L’ajout de la nécessaire motivation est intéressant et renvoie à l’exigence classique de motivation des décisions dites administratives. Il peut être nécessaire de rappeler que la décision de la mise à l’isolement et, éventuellement du recours à la contention, même si elle émane d’un médecin psychiatre, n’est pas une prescription car elle est vouée à la sécurisation des personnes[2]. Bien sûr, des soins pourront être prescrits dans le cadre de cette mesure. Cette motivation permet notamment de s’assurer du caractère « adapté, nécessaire et proportionné ».

Et, en toute logique, il est précisé que la décision médicale doit être précédée d’une évaluation médicale psychiatrique effective de la personne.

Par ailleurs, le législateur reprend le principe que leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. Il affirme, si besoin était, que cette surveillance est somatique et psychiatrique, et tracée dans le dossier médical du patient.

A noter : le somatique primera toujours en psychiatrie ! On relève que la tendance est de rappeler la nécessaire réalisation d’examens somatiques en psychiatrie. Par exemple, le nouveau manuel de certification des établissements de santé pour la qualité des soins de la Haute Autorité de Santé présenté en octobre 2020 va plus loin que la loi et prévoit de manière générale dans son critère 2.2-17 impératif que « Les équipes réalisent un examen somatique pour tout patient hospitalisé en psychiatrie ».

  • Dans la 2ème partie de l’article, le législateur répond à l’injonction du Conseil constitutionnel en limitant la durée des mesures d’isolement et de contention et pose les conditions dans lesquelles le juge peut exercer un contrôle.

Désormais les mesures d’isolement et de contention ont une durée limitée fixée par la loi (et pas seulement par une recommandation de la Haute Autorité de Santé[3]) et sont passibles d’un contrôle du juge. Le législateur n’ayant pas fait le choix d’un contrôle systématique de la légalité des mesures notamment car cela n’aurait pas été compatible avec les contraintes des juridictions.

La mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de 12 heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de 12 heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de 48 heures.

La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de 6 heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de 6 heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de 24 heures.

A titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au-delà des durées totales, la mesure d’isolement ou de contention. Le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention (JLD), qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure, ainsi que le patient, son entourage s’il est identifié[4] et le Procureur de la République. Le médecin fait part à ces personnes de leur droit de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure. En cas de saisine, le JLD statue dans un délai de 24 heures.

Il est précisé dans le texte qu’une mesure d’isolement ou de contention est regardée comme une nouvelle mesure lorsqu’elle est prise au moins 48 heures après une précédente mesure d’isolement ou de contention. En-deçà de ce délai, sa durée s’ajoute à celle des mesures d’isolement et de contention qui la précèdent et les dispositions relatives au renouvellement des mesures lui sont applicables.

L’information du juge est également délivrée lorsque le médecin prend plusieurs mesures d’une durée cumulée de 48 heures pour l’isolement et de 24 heures pour la contention sur une période de 15 jours, quel que soit le délai entre deux isolements ou deux contentions.

Le législateur a donc décidé que l’information du juge devait peser sur les médecins [on s’étonne d’ailleurs qu’il n’ait pas repris le terme « psychiatre » ; tout psychiatre est médecin alors que tout médecin n’est pas psychiatre ! La loi du 5 juillet 2011 opère bien cette distinction entre les deux. On regrette cette imprécision dans le nouveau texte qui peut amener à de la confusion]. Quand ? Sans délai, c’est-à-dire juridiquement immédiatement. Comment ? Aucune précision n’est donnée dans la loi. Dans le contexte actuel de forte pénurie de psychiatres en France, était-ce le meilleur choix ? Quels outils sont mis à disposition des médecins ?

  • Dans la 3ème partie de l’article le législateur maintient l’exigence de la tenue d’un registre et de la rédaction d’un rapport annuel.

Il prévoit que ce registre sera établi sous forme numérique[5], ce qui n’était jusqu’alors qu’une possibilité, et apporte des précisions sur l’identification du patient.

Par ruissellement, la réforme de l’isolement et de la contention impacte les articles du code de la santé publique[6] relatifs au champ de compétence du JLD. Les mesures d’isolement et de contention pouvant également faire l’objet d’un contrôle par le juge dans le cadre de celui qu’il effectue sur le maintien en hospitalisation complète des personnes en soins sous contrainte.

Concernant la procédure et, par dérogation aux dispositions habituellement prévues dans le cadre de cette saisine du JLD, ce dernier, saisi d’une demande de mainlevée de la mesure d’isolement ou de contention ou qui s’en saisit d’office, statue sans audience selon une procédure écrite. Le patient ou le requérant peut toutefois demander à être entendu par le juge, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement. L’audition du patient ou du demandeur peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle ou, en cas d’impossibilité avérée, par communication téléphonique, à condition qu’il y ait expressément consenti. L’audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n’y fait pas obstacle. De manière générale, on peut s’interroger sur la qualité d’une audition par téléphone et a fortiori avec un patient atteint de troubles mentaux.

A noter que le recours à la visioconférence n’est plus possible depuis la loi du 27 septembre 2013 dans le cadre du contrôle systématique du JLD de l’hospitalisation complète… (hors situation sanitaire exceptionnelle) !

Conclusion : 

Les professionnels de la psychiatrie ont alerté à plusieurs reprises des difficultés d’application de ces mesures, voire même exprimé leur refus d’appliquer le nouveau texte avec toutes les conséquences que cela implique concernant leur responsabilité.

On peut craindre, dans un contexte de pénurie de psychiatres, qu’ils ne soient pas suffisamment nombreux dans les établissements et services de psychiatrie pour respecter les contraintes posées dans le nouveau texte concernant les obligations liées aux renouvellements des mesures, à savoir l’information systématique du juge au-delà des délais.

On peut craindre que le JLD n’use pas suffisamment de son pouvoir d’auto saisine ou ne puisse effectuer un contrôle de qualité et se transforme en chambre d’enregistrement.

On peut craindre que les patients et leur entourage ne s’emparent pas de ce nouveau moyen de recours.

Enfin, on peut craindre une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.

Espérons des (justes) moyens financiers et d’accompagnement associés à cette réforme[7]… et soyons attentifs aux (éventuels) recours.

Mais en tout état de cause, il demeure un vide juridique pour les cas particuliers en psychiatrie qui n’entrent pas dans le dispositif : quid de l’isolement et de la contention pour les patients en soins libres dans un contexte de crise aigüe ou de façon séquentielle[8]? Et de façon plus générale rappelons qu’il n’existe aucun cadre légal pour les patients pris en charge en médecine-chirurgie-obstétrique ainsi que pour les résidents des établissements médico-sociaux, notamment ceux pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)[9]. Il serait peut-être temps d’engager un travail de grande envergure, sans précipitation et avec concertation, sur la privation de liberté d’aller et venir en établissements sanitaires et médico-sociaux. Soulignons que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a récemment publié un bilan des incidents liés à l’utilisation de dispositifs de contention qui interpelle: entre 2011 et 2019, 130 incidents lui ont été déclarés, dont 99 impliquent un dispositif médical de contention au fauteuil ou au lit (hors couchage de contention), et 31 impliquent un couchage de contention. Ces incidents ont principalement eu lieu en milieu hospitalier ou en EHPAD[10].


[1] Rappelons que la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge qui elle-même faisait suite à une décision QPC du Conseil constitutionnel avait été censurée à deux reprises par les Sages quelques mois après son entrée en vigueur et avait nécessité une nouvelle réforme en 2013

[2] Cf. PECHILLON E., DAVID M., « Décision ou prescription du psychiatre : quelles différences juridiques ?, L’information psychiatrique, 2017 

[3] HAS, Isolement et contention en psychiatrie générale, Recommandations pour la pratique clinique, février 2017

[4] Les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur si la personne est mineure, la personne chargée d’une mesure de protection juridique relative à la personne faisant l’objet des soins, son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité, la personne qui a formulé la demande de soins, un parent ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet des soins 

[5] Sans préciser toutefois son délai de conservation

[6] Articles L3211-12, L3211-12-1, L3211-12-2, L3211-12-4, L3211-12-5 du code de la santé publique

[7] Une enveloppe de 15 millions d’euros est prévue par la LFSS 2021

[8] La circulaire Veil de 1993 est-elle toujours d’application dans ce contexte ?

[9] Citons tout de même les recommandations issues de la Conférence de consensus Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité, 24 et 25 novembre 2004

[10]https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Recommandations-pour-assurer-la-securite-des-patients-necessitant-une-contention-medicale-Point-d-information