Note de jurisprudence – Le psychiatre n’est pas un juge, pas plus que le juge n’est psychiatre. A propos de l’arrêt de la cour de cassation du 8 février 2023 [1]

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 22/03/2023

Isabelle Génot Pok, Juriste-consultante en droit de la santé, Centre de droit JuriSanté, CNEH

La Cour de cassation rappelle ce qui doit donc encore être rappelé, à savoir que le juge des libertés et de la détention (JLD) ne peut en aucune façon substituer son avis à celui du psychiatre pour décider du maintien ou de la levée d’une mesure de soins contraints.

En l’espèce, le 15 juin 2021, une patiente est admise en soins psychiatriques sur demande d’un tiers en urgence (SPDTU) sur la base de l’article L3212-3 du code de la santé publique (Csp). Par la suite, la patiente bénéficie d’un programme de soins, mais est réintégrée en hospitalisation complète sur décision du directeur le 2 novembre 2021 après une rechute. A la suite de quoi, le directeur saisit le JLD le 4 novembre dans le cadre d’une audience obligatoire afin d’obtenir la prolongation de la mesure[2]. La mesure étant maintenue, la patiente fait appel.

Le juge d’appel par son ordonnance du 3 décembre 2021 décide de la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète et propose la mise en place d’un programme de soins, malgré les documents médicaux, au motif, notamment, que la patiente a déjà passé de longs mois au sein de l’hôpital, avec nombre de sorties de courte durée, lesquelles se sont révélées positives, et que cette modalité de prise en charge lui permettrait de poursuivre ses études.

Cette fois, c’est le directeur d’établissement qui se pourvoit en cassation, arguant la violation par le juge d’appel des articles L.3212-1 et L. 3211-12-1 du CSP dès lors qu’il a été constaté au vu des certificats circonstanciés « que, l’ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiant de la poursuite de l’hospitalisation complète sous contrainte », seul le maintien de la mesure était possible.

Dans son arrêt, la Cour de cassation fait preuve de clarté en rappelant que le juge ne peut en aucun cas porter une appréciation d’ordre médical lorsqu’il est saisi d’une demande aux fins de se prononcer sur le maintien de l’hospitalisation complète d’un patient. On relève en effet, que le juge du fond a aussi appuyé sa décision de levée sur le fait que la patiente, nonobstant sa pathologie chronique et les certificats médicaux circonstanciés non contestés concluant tous au maintien de la mesure d’hospitalisation complète, semblait désormais consciente de sa pathologie. Dès lors, son analyse de l’état mental de la patiente se fondait sur son impression à l’audience et sur des considérations autres que médicales.

En conséquence de quoi, la Cour de cassation, replace la posture du magistrat là où elle se doit de rester, à savoir, d’une part, que «le juge doit examiner le bien-fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical», et ce au regard des conditions strictes de l’hospitalisation à la demande d’un tiers posées par l’article L3212-1 du Csp[3]. Et d’autre part, lorsque « les certificats médicaux, dont le caractère régulier et circonstanciés n’était pas contesté, se prononçaient tous en faveur du maintien de l’hospitalisation complète », le juge est tenu de suivre l’appréciation portée par le médecin dans les certificats médicaux circonstanciés.

La Haute cour casse la décision du juge d’appel qui « n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations… ».

Cette décision, en toute logique, fait suite à deux autres arrêts qui portaient le même raisonnement : « il n’appartient pas au juge de substituer son avis à celui des psychiatres, consignés dans les certificats et avis médicaux circonstanciés prescrivant la poursuite des soins selon des modalités thérapeutiques déterminées. » [4]

En conclusion, un fabuliste a écrit : « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées »[5], de quoi amener chacun des professionnels judiciaires et hospitaliers à méditer….


[1] Cass.1èreciv.,8 février 2023, n°22-10852

[2] Article L. 3211-12-1 du CSP, un patient ne peut demeurer plus de 12 jours en hospitalisation complète suite à une période de liberté d’aller et venir sans le JLD ne se soit prononcé sur cette mesure.

[3] Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l’objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l’article L. 3211-2-1.

[4] Cass. 1ère  Civ., 26 octobre 2022 n°21-13.084 et Cass. 1ère  Civ., 27 septembre 2017, n° 16-22.544

[5] Moral de la fable « Le Vacher et le Garde-chasse », Jean-Pierre Claris de Florian – 1755-1794