Billet d’humeur – Nos élus auraient-ils recouvré de la raison législative ? A propos de la suppression de l’article 28 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 16/11/2021

Isabelle Génot Pok, juriste consultante en droit de la santé, Centre de droit JuriSanté du CNEH

C’est tard dans la soirée que nos Sages sénateurs ont recouvré de la lucidité législative et constitutionnelle en votant, contre l’avis du Gouvernement, un amendement de suppression de l’article 28 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 relatif à la systématisation du contrôle judiciaire de l’isolement et de la contention en psychiatrie lorsque les mesures dépassent certaines durées. C’est à l’initiative de la sénatrice Corinne Imbert (LR), que ce vote a eu lieu, dans une volonté ferme de la commission des affaires sociales de « nettoyer » le texte de dispositions qualifiées de cavaliers sociaux[1].

Grand bien lui fasse…, En effet on rappellera que si les parlementaires disposent du droit d’amender les projets et propositions de lois, de leur seule initiative ou en adoptant des amendements déposés par le Gouvernement, ce droit d’amendement reconnu connaît cependant des limites commandées par la cohérence législative et la clarté des débats parlementaires.

Chaque fois qu’elle est ignorée, cette prohibition devrait entrainer la chute du « cavalier », notamment à l’issue de la procédure législative et/ou par l’effet de sa censure par le Conseil constitutionnel.   

On peut donc se demander pourquoi cette suppression n’a pas eu lieu lors de l’examen du PLFSS de 2020 pour 2021 ?

C’est dans les explications données par la sénatrice porteuse de la suppression de l’amendement que l’on comprend que : « En 2020, la crise sanitaire et les difficultés rencontrées par le Parlement dans ses travaux législatifs au long de l’année ont pu justifier l’introduction d’une disposition relative à l’isolement et à la contention en LFSS, pour laquelle la commission rappelle que le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi ». Cette année, « la présence de cette mesure en LFSS, dont les délais d’examen sont particulièrement contraints, ne peut qu’interroger tant par la forme que par la méthode, car le Gouvernement a eu l’occasion, depuis le 4 juin 2021, de faire examiner un projet de loi sur le sujet ». Par ailleurs, elle précise la nécessité de respecter le « principe fondamental de lisibilité et de sincérité des débats parlementaires, qui commande qu’un véhicule législatif soit le lieu de discussion de dispositions cohérentes et réunies par un même objet »[2]. Ce principe « vaut tout particulièrement pour la LFSS, dont l’examen est enserré dans des délais constitutionnels », insiste l’élue.

De toute évidence l’importance de ce texte touchant aux libertés fondamentales est mise au grand jour et sera, espérons-le, ainsi que l’expriment aussi les membres de la commission sénatoriale, l’objet d’un texte de loi à part entière, comme il le méritait déjà en 2020. On ne peut traiter d’un sujet si aigüe et sensible dans un « simple » article de loi au milieu de moultes autres articles indifférents à ce domaine, sans engendrer un sentiment de non considération pour la santé mentale.

C’est donc dans une fébrile attente que nous regarderons l’horizon législatif en espérant y voir pointer un véritable projet de loi digne de ce nom d’ici la fin de l’année, comme exigé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 juin 2021[3]. Faute de quoi, c’est un vide juridique sidéral qui attend les acteurs de la psychiatrie dès lors que le dispositif mis en place par l’article 84 de la LFSS du 14 décembre 2020 sera abrogé fin d’année 2021.

Affaire à suivre.


[1] En droit français, le terme cavalier est utilisé dans un projet ou une proposition de loi afin de désigner des dispositions qui, en vertu des règles constitutionnelles ou organiques régissant la procédure législative, n’ont pas leur place dans le texte dans lequel le législateur a prétendu les faire figurer. Par ailleurs, le cavalier social est une disposition dont la présence dans une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est proscrite par l’article 34 alinéa 20 de la Constitution et l’article 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (du 22 février 1996) , car ne relevant ni du domaine exclusif des LFSS ni de leurs domaines facultatifs. À défaut, les cavaliers sociaux inclus dans un projet de loi de finances font systématiquement l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel.

[2] Propos repris de la dépêche d’Hospimédia « Le Sénat supprime dans le PLFSS les dispositions relatives à l’isolement-contention – Publiée le 10/11/21.

[3] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021912_913_914QPC.htm