Billet d’humeur – Juge des libertés et de la détention et psychiatrie sous contrainte… vers une amélioration dans l’organisation, mais pour qui?

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 13/11/2023

Isabelle Génot-Pok, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Propos liminaire: depuis la rédaction de ce billet, la loi n°2023-1059 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a été publiée au JO du 21 novembre 2023. L’assouplissement de la gestion juridictionnelle du contrôle des soins sans consentement est acté.

Selon le projet de loi d’orientation de la justice, actuellement en cours d’examen, les procédures judiciaires liées aux soins sans consentement pourraient être confiées à « un magistrat du siège ».

Depuis 2019, le législateur ne cesse de retravailler l’organisation judiciaire[1]. Aussi, moins de deux ans après les dernières dispositions législatives visant à restaurer la confiance des français dans leur système judicaire, deux nouvelles lois[2] sont en préparation, dont l’objectif serait de fluidifier le système et de le rendre plus efficace dans son fonctionnement, voire « plus proche des citoyens ».

Nous ne reviendrons pas sur les méandres, réserves et approximations relevées par la commission des lois, ici, seul un dispositif nous intéresse quant à ses effets dans le domaine de la santé mentale.

Au sein des 29 articles de l’imposant projet de loi d’orientation et de programmation de la justice 2023[3] – il en est un, l’article 15, qui prévoit une modification importante, non pas au vu du nombre d’articles du code de la santé publique qu’il va modifier, mais dans ses conséquences sur la procédure de contrôle des soins sans consentement. En effet le projet de loi vise à substituer à l’intitulé « juge de la liberté et de la détention » (JLD) celui de « magistrat du siège du tribunal judiciaire ».

Il transfère ainsi à tout magistrat du siège du tribunal judiciaire les compétences civiles exercées jusqu’alors par le seul juge des libertés et de la détention en matière d’hospitalisations sans consentement (mais aussi en matière de contentieux des étrangers).

Sur ce point la commission des lois n’a pas remis en cause ce transfert qui n’affecterait pas, d’un point de vue du droit, les garanties apportées aux justiciables et qui offrirait une souplesse d’organisation intéressante à des juridictions pâtissant durement de la pénurie de JLD.

On a pu en effet constater rapidement les difficultés d’organisation du corps des magistrats ayant la qualité de JLD, quant au contrôle des mesures d’isolement et de contentions[4], 24h sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours sur 365, selon les tribunaux. Ce qui pouvait engendrer d’autant, une disparité voire une inégalité de traitement entre les patients relevant des soins contraints.

Dans son étude d’impact du 3 mai 2023, la commission des lois approuve la volonté du législateur d’alléger la tâche certes conséquente du JLD, notamment depuis 2022[5], en le recentrant sur la matière pénale : […] « Au terme de ce mouvement accroissant considérablement le domaine de compétences et la fréquence de saisine du juge des libertés et de la détention dans le contrôle des mesures privatives de liberté induites par les soins sans consentement et le droit des étrangers, la question de la mesure de son office est prégnante. […], le taux de vacance JLD illustre une désaffection pour ces fonctions, tandis qu’en l’état des textes, seule l’hypothèse du remplacement du JLD pénal vacant est expressément prévue par l’article 137-1-1 du code de procédure pénale. » « En l’état du droit en vigueur, le périmètre d’intervention croissant du juge des libertés et de la détention, l’urgence permanente dans laquelle il doit statuer et la désaffection pour ces fonctions sont à l’origine de difficultés dans de nombreuses juridictions et impliquent une nouvelle répartition des compétences judiciaires du contrôle des mesures privatives de liberté dans le domaine des soins sans consentement et en droit des étrangers »[6].

En effet, cette étude note que le nombre d’affaires nouvelles relevant de la compétence du JLD enregistrées annuellement en contentieux de l’hospitalisation sous contrainte est passé de 83 049 en 2021 à 115 845 en 2022 (soit une hausse de près de 40%).

Aussi, la réforme poursuit elle l’objectif de devoir « tout d’abord permettre aux juridictions de renouer avec davantage de souplesse dans leur organisation, pour assurer la bonne efficience du travail judiciaire ». Le contrôle du juge devrait ainsi « trouver sa plénitude, tout en conservant le même niveau de garantie de protection des libertés individuelles au bénéfice des personnes concernées par ces procédures. ». Selon la commission, cette réforme qui vise à augmenter le nombre de magistrats du siège pouvant traiter ces affaires au sein de chaque tribunal judiciaire n’affectera ni le fond des droits garantis, ni véritablement la procédure, l’impact normatif est donc résiduel.

Il y aura donc plus de magistrats judiciaires (gardiens de la liberté individuelle, notamment la liberté d’aller et venir[7]) disponibles pour assurer le contrôle des hospitalisations sous contraintes et des isolements et contentions. Toutefois on peut s’interroger sur certains arguments rappelés par la commission quant à la création du JLD en 2000[8] et la consécration de sa fonction statutaire exercée par des juges d’expérience en 2016[9] nécessaire pour garantir l’application de la liberté individuelle. Aussi, le transfert des attributions du JLD à tous magistrats de l’ordre judiciaire ne risque t-il pas de faire perdre la compétence et l’expérience acquises notamment depuis 12 ans dans le domaine spécifique des soins contraints ?

On se rappellera qu’il a été assez difficile pour ce corps de professionnel de s’adapter à la loi spécifique des soins contraints et de l’organisation administrative dans laquelle elle évolue, comme pour les professionnels hospitaliers de conjuguer leurs pratiques aux exigences des magistrats, pour ne pas en subir encore une fois les désagréments avec de nouveaux juges non habitués et non formés…

Espérons que chacun de ces juges nouvellement habilités pour traiter de la restriction et de privation[10] des libertés individuelles dans le champ de la psychiatrie sous contrainte soient impérativement et sérieusement formés à ce dispositif spécifique avant la prise de leurs nouvelles fonctions, au risque de voir poindre à nouveau les difficultés rencontrées lors de la mise en place de la loi de 2011 et de celle de 2022. Espérons que les hospitaliers, eux-mêmes en difficulté numéraire, soient épargnés par de nouvelles et multiples interprétations aléatoires du dispositif juridique…

Pour mémoire

Loi organique : l’objet d’une loi organique est de préciser l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, en application d’articles de la Constitution. Les lois organiques se situent au-dessus des lois ordinaires mais sous les lois constitutionnelles dans la hiérarchie des normes. Elles sont prises par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat). Elle fixe les règles propres à l’organisation des pouvoirs publics.

Loi ordinaire : elle intervient dans les domaines de la loi définis à l’article 34 de la Constitution (pouvoir réglementaire) et est adoptée à l’issue de la navette parlementaire. Parmi les lois ordinaires, on distingue les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de programmation.


[1] Loi n°2019-222 du 29 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, loi organique n°2021-1728 et loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[2] Projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, et le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

[3] Loi ordinaire.

[4]Loi n° 2020-1576 du 4 décembre 2020 et n° 2022-46 du 22 janvier 2022 ont confié au juge des libertés et de la détention le contrôle des mesures d’isolement et de contention prononcées à l’égard des personnes hospitalisées en psychiatrique sous contrainte, suite aux QPC n° 2020-844 du 19 juin 2020 et QPC n° 2021-912/913/914 du 4 juin 2021 par lesquelles le Conseil constitutionnel a exigé l’intervention systématique du juge judiciaire pour autoriser le maintien de ces mesures au-delà d’une certaine durée.

[5] Idem

[6] Etude d’impact Titre V chapitre 1er article 15 Point 1.2 Cadre constitutionnel et point 2.2 objectifs poursuivis – Voir dossier législatif sur le site du Sénat.

[7] Article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 « L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

[8] Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000.

[9] Loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016.

[10] On rappellera que restriction et privation sont deux notions différentes qu’il ne faut en aucun cas confondre et qui relève de deux procédures distinctes avec des objectifs distincts. L’une relevant de l’empêchement d’aller et venir à l’extérieur de la structure de soins ; l’autre relevant l’impossibilité de sortir d’une chambre d’isolement dédiée voire y être aussi attaché. Voir sur ce point notre note publiée sur le blog relatif à l’avis de la cour de cassation : AVIS 1ÈRE civ. N° 15012 DU 08 JUILLET 2021.