Que reste-t-il des droits des patients et des résidents en période de pandémie ?

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 08/07/2020

Aude Charbonnel, consultante au Centre de droit JuriSanté

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières – n°597, juillet 2020

Durant cette période si particulière de pandémie de covid-19, les établissements de santé et médico-sociaux ont dû s’engager dans un processus décisionnel complexe fondé sur des recommandations scientifiques évolutives. L’enjeu était de parvenir à concilier dans ce contexte d’urgence sanitaire le meilleur respect des droits des personnes prises en charge avec l’impératif de protection par rapport au virus. L’éternel dilemme des professionnels de santé pour concilier sécurité et liberté des usagers a trouvé ici une application inédite…

La France, pour faire face à cette pandémie, s’est dotée d’un nouveau régime d’exception : l’état d’urgence sanitaire qui peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population »[1]et qui permet au pouvoir exécutif de limiter drastiquement un certain nombre de libertés.

Les établissements ont alors été dans l’obligation d’appliquer les consignes nationales et de prendre des décisions difficiles et inédites qui ont eu un impact certain sur les droits des personnes.

Ces décisions ne pouvaient être admises uniquement si elles étaient prises :

  • en fonction des données scientifiques disponibles à ce moment sur la situation sanitaire;
  • et dans le but de protéger la sécurité des patients, des résidents et du personnel hospitalier.

En tout état de cause, les décisions ne devaient être ni arbitraires, ni manifestement disproportionnées. Un fil rouge, en cette période plus que jamais : le respect de la dignité du patient ou du résident (articles L1110-2 du code de la santé publique et L311-3 du code de l’action sociale et des familles).

  • Recommandations vs réalité ?

Le Ministère des solidarités et de la santé a publié des recommandations destinées aux établissements sanitaires et médico-sociaux. Mais la difficulté réside dans le fait que bien souvent les préconisations ne sont réalisables qu’en cas de compliance du patient ou du résident, qu’elles ne prennent pas en considération la configuration architecturale de structure, la réalité locale… Ainsi, comment gérer un patient diagnostiqué positif au covid-19 qui, en raison de ses troubles cognitifs, continue d’errer dans les couloirs ou encore quelle approche avoir avec un résident qui fait du chantage au suicide quand on lui demande de ne pas quitter sa chambre ? Les situations sont tellement multiples et variées qu’il est impossible de toutes les prévoir. Et les professionnels souvent démunis quant à la conduite à tenir. Il y a bien sûr la volonté de protéger du virus mais aussi le souci d’éviter toute détresse psychologique ou phénomène de glissement chez les patients et résidents. Comment gérer le risque dans ces hypothèses ? Car il s’agit bien ici de gestion de risque : savoir arbitrer pour faire le choix du risque le moins aigu pour le patient ou le résident, les professionnels, l’établissement. Tout en ne négligeant pas les attentes légitimes des familles et des proches…

Les conditions de séjour des patients et résidents ont donc été modifiées selon les contraintes de sécurité sanitaire ce qui a eu un réel impact sur leurs droits : la liberté d’aller et venir dans l’enceinte de l’établissement et vers l’extérieur, le maintien des liens familiaux et le droit de visite, etc[2].

Par exemple, concernant les visites, l’approche a été inversée. En temps « normal », l’interdiction de visite doit être décidée par le médecin, lorsqu’elle est nécessaire, avec précaution et discernement, etjamais pour une durée illimitée. Durant la récente période, les visites n’étaient pas autorisées sauf exceptions médicalement justifiées (notamment en fin de vie). Autre illustration, le maintien du lien avec les familles. Le Comité consultatif national d’Ethique a rappelé le 30 mars 2020 que « le respect de la dignité humaine, qui inclut aussi le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes, est un repère qui doit guider toute décision prise dans ce contexte où les équipes soignantes et administratives, (…) sont de plus en plus confrontés à des situations dramatiques « [3]. L’enjeu était alors de protéger sans isoler en proposant des alternatives ou des modalités particulières, même si elles étaient restrictives. Réussir à conserver un lien social et communiquer avec les familles autrement, en initiant et accompagnant les patients et résidents à l’utilisation des outils numériques. Finalement, se poser la question du maintien du lien avec les familles en période d’urgence sanitaire, c’est accepter l’idée que ce lien puisse être dégradé. Tout en veillant à ne pas instaurer une discrimination dans le traitement des familles selon la pathologie du patient ou du résident! Les initiatives ont été nombreuses et la majorité des établissements a su s’adapter, réinventer des modes de communication.  Mais il y a eu des dérives: la présence imposée et continue de professionnels lors de visite en EHPAD par exemple afin de s’assurer du respect des gestes barrières et de la distanciation physique. Ces pratiques heurtent le respect de la vie privée et de l’intimité et peuvent aussi être interprétées « comme une marque de défiance à l’égard des familles, ce qui les apparentent à un contrôle social, et témoignent d’une infantilisation du résident, présumé ne pas comprendre les risques encourus et/ou incapable de respecter les gestes barrières »[4].

Autre illustration: le contrôleur général des lieux de privation de liberté a constaté des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées résultant d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du Covid-19. Ainsi, « des patients ont été enfermés à clé 24 h sur 24 sans que leur état clinique psychiatrique le justifie, sans décision médicale écrite émanant d’un psychiatre ni traçabilité et, au surplus, dans des espaces dangereux car non aménagés à cet effet »[5].

  • Quelle responsabilité pour les directeurs d’établissement ?

Ces changements d’organisation relèvent de la responsabilité du directeur dans le cadre de l’usage de son pouvoir de police administrative. Il est ainsi précisé dans le protocole relatif aux consignes applicables sur le confinement dans les ESSMS et unités de soins de longue durée que ce document « national présente des recommandations précises relatives à l’organisation du confinement dans les établissements lieux de vie des usagers. Toutefois, il revient aux directrices et directeurs d’établissement de décider des mesures applicables localement, après concertation collégiale avec l’équipe soignante et, en particulier les médecins coordonnateurs, en fonction de la situation sanitaire de l’établissement et dans le respect des préconisations locales délivrées par les agences régionales de santé et les préfectures ». Le Conseil d’Etat a également souligné le rôle essentiel des directeurs d’établissement à l’occasion d’une requête en référé : « en publiant le communiqué de presse contesté, la secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé des personnes handicapées s’est bornée à énoncer de simples recommandations destinées aux directeurs des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Il n’appartient qu’à ces derniers, responsables de l’ordre et de la sécurité dans les établissements qu’ils dirigent, de prendre des mesures permettant d’assurer, à l’intérieur de l’établissement, le respect des consignes données à l’ensemble de la population pour lutter contre la propagation du virus covid-19, en conciliant les exigences sanitaires avec les droits des résidents »[6]. Cet arrêt est très intéressant. Il rappelle que les directeurs d’établissements sanitaires et médico-sociaux conservent, dans un contexte national de crise sanitaire et de restriction des libertés très particulier, l’exercice de leur compétence d’organisation de l’établissement, et de détermination des mesures les plus à même de préserver au mieux (ou le moins mal possible) la santé physique des personnes autant que leur liberté. Dans certaines structures, notamment celles hébergeant des personnes âgées, ou handicapées, faire primer la sécurité sur la liberté n’était en effet pas de toute évidence, et pouvait créer pour les usagers un risque psychologique plus grave et plus probable encore que le risque physique lié à la contamination.

  • Quels outils pour accompagner ces problématiques de terrain ?

Certains professionnels se sont sentis démunis face à la mise en œuvre de décisions, qui, pour être protectrices de la santé des usagers, n’en étaient pas moins attentatoires à leur liberté, et par conséquence, potentiellement aussi préjudiciables dans certains cas. Les échanges avec les équipes ont amené à identifier certaines précautions qui permettent d’apporter un cadre juridiquement sécurisé, éthique, et bientraitant à ces décisions.

  • Toujours penser à associer les organes et instances de l’établissement (si besoin par conférence téléphonique/visioconférence) :
    • Le comité éthique, s’il existe,
    • La commission des usagers (CDU)/Le conseil de la vie sociale (CVS).

La participation des représentants des usagers/des personnes accueillies et des familles à la prise de décision est essentielle. Ils apportent un regard extérieur qu’il ne faut jamais négliger.

  • Puis formaliser les décisions prises :
    • Au plan individuel: dans le dossier médical du patient ou du résident
    • Au plan collectif: décisions, notes de service… respectant le formalisme juridique et donnant lieu à une information accessible aux usagers et aux familles.
  • Et enfin assurer une bonne communication vers l’extérieur, auprès des usagers avec, notamment, des notes d’information sur la politique institutionnelle :
    • Affichées dans l’établissement et, si possible diffusées sur les écrans au sein de l’établissement
    • Diffusées sur le site internet de l’établissement, les réseaux sociaux, la presse locale…

Et ne pas oublier les mesures de sécurisation juridique pour assurer la régularité des décisions prises et limiter ainsi les risques de contentieux.

  • Quel contrôle du juge?

On peut d’ores et déjà citer quelques situations portées à l’appréciation du juge :

  • Concernant le droit de visite : des requérants ont demandé, notamment, au juge des référés du Conseil d’Etat d’enjoindre à l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer à toutes les personnes en fin de vie souffrant d’une infection due ou susceptible d’être due au covid-19, et notamment à celles résidant dans un EHPAD, l’accès à des soins palliatifs et la présence d’un de leurs proches. La Haute Juridiction a estimé que si les visites de personnes extérieures sont suspendues, des autorisations exceptionnelles de visite peuvent être accordées par le directeur d’un EHPAD, notamment aux proches d’un résident dont la vie prend fin, avec l’accord, le cas échéant, du médecin coordonnateur, dès lors que des mesures propres à protéger la santé des résidents et des personnels de l’EHPAD ainsi que des visiteurs peuvent être prises. Par conséquent, les requérants n’étaient pas fondés à soutenir que, de manière générale, il était exclu que les résidents des EHPAD puissent voir un de leurs proches avant leur décès[7]. La requête a donc été rejetée.
  • Concernant le contrôle des soins psychiatriques sans consentement : l’hospitalisation complète d’un patient admis en soins psychiatriques sans consentement ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, ait statué sur cette mesure avant l’expiration d’un délai de 12 jours à compter de l’admission. En temps normal, à l’audience, le patient est entendu, le cas échéant assisté de son avocat ou représenté par celui-ci, sauf si des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à son audition. Le patient est alors représenté par un avocat choisi ou, à défaut, commis d’office. Le juge statue dans une salle d’audience attribuée au ministère de la justice, spécialement aménagée sur l’emprise de l’établissement d’accueil (ou, en cas de nécessité, sur l’emprise d’un autre établissement de santé situé dans le ressort du tribunal judiciaire, dans les circonstances). Mais l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, qui a vocation à s’appliquer au contentieux des hospitalisations sans consentement, permet au juge de statuer sans comparution de la personne faisant l’objet d’une telle mesure. Des patients ont alors invoqué la violation du droit à un procès équitable et à l’accès au juge. Toutefois, les tribunaux ont jugé que si cette ordonnance, constituant un texte d’état d’urgence, comprend des dérogations exceptionnelles à la procédure prévue par le code la santé publique, celles-ci sont proportionnées à l’urgence sanitaire liée à la pandémie, et leur application ne porte pas accès au droit d’accès à un tribunal et à un procès équitable dès lors que, tant devant le juge des libertés que devant le conseiller délégué de la cour d’appel, le patient a été représenté par son avocat qui a eu la possibilité de s’entretenir avec lui avant l’audience et de présenter des observations en son nom[8]. De manière générale, afin de respecter le droit des patients en soins sans consentement, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a recommandé que ces audiences soient organisées par visio-conférence et en cas d’impossibilité d’y recourir, que le juge entende les parties et leurs avocats par tout moyen de communication, y compris téléphonique[9].

Conclusion

Aurait-on pu faire mieux en matière de respect des droits des patients et des résidents dans les établissements sanitaires et médico-sociaux durant la pandémie de covid-19? Il sera intéressant, en temps voulu, de procéder à des retours d’expérience, tant sur la pertinence des mesures décidées au plan national et celles prises par les directeurs des structures que sur les axes de progrès en cas de nouvelle pandémie.


[1] Article L3131-12 du code de la santé publique

[2] cf.: Rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l’épreuve de la crise sanitaire,17 mars au 10 juin 2020 », 2 juillet 2020.

[3] CCNE, Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD, 30 mars 2020

[4] « Le droit aux relations personnelles des résidents d’EHPAD dans le contexte du covid-19 », Aperçu rapide par  Muriel  Rebourg  professeur de droit privé et  Stéphanie  Renard  maître de conférences HDR en droit public, La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 22 Juin 2020, 749

[5] CGLPL, Recommandations en urgence du 25 mai 2020 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives à l’établissement public de santé mentale Roger Prévot de Moisselles (Val- d’Oise), NOR : CPLX2014877X, JO 19 juin 2020

[6] Conseil d’État, 8 avril 2020, n° 439822

[7] Conseil d’État, 15 avril 2020, n° 439910

[8] CA Aix-en-Provence, ord., 30 avr. 2020, n° 20/00046

[9] CGLPL, communiqué, 27 mars 2020

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