BILLET D’HUMEUR – CE, 24 janvier 2020, N° 437328 : Couple, décès et transfert d’embryons… Le Conseil d’État a tranché !

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 15/04/2020

Anne Sophie Ovide, juriste, apprentie au centre de droit JuriSanté du CNEH

Dans le contexte actuel d’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, le Conseil d’État s’est positionné concernant le transfert d’embryons post-mortem… un sujet encore sensible.

Un couple s’est engagé dans un processus d’assistance médicale à la procréation, dans un CHU, qui a  aboutit à la conservation d’embryons. Suite au décès de son mari, l’épouse demande au CHU que soient transférés lesdits embryons en Espagne. Le but est clair, elle souhaite poursuivre le projet parental établi avec son défunt époux. Ce dernier avait par ailleurs consenti à l’éventualité d’une PMA post-mortem réalisée en Espagne.

Le CHU n’accède pas à la demande de l’épouse, décision qu’elle décide de contester. Elle saisit le tribunal administratif en urgence, au support d’un référé-liberté, considérant qu’une atteinte grave et manifestement illégale avait été portée à l’une de ses libertés fondamentales, le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, CEDH)[1]. Toutefois, le juge des référés n’ayant pas donné droit à sa requête, l’épouse saisit le Conseil d’État.

Le Conseil d’État et les juridictions administratives de premiers ressorts ont déjà eu à se prononcer sur des demandes de transferts de gamètes à l’étranger suite au décès d’un des conjoints. De manière constante, les juges administratifs examinent les demandes de transfert de gamètes post-mortem sous le prisme d’un faisceau d’indices : pour quelle(s) raisons l’époux survivant choisi ce pays étranger ? A-t-il des liens particuliers avec ce pays ? Ainsi, au gré de leur appréciation les juges, autorisent[2] le transfert[3] ou le refusent[4]. 

Mais, dans la présente affaire examinée par le Conseil d’État, celui-ci a ici eu à se prononcer sur un point de droit inédit, à savoir le transfert d’embryon post-mortem en vu de poursuivre le projet parental. Cet arrêt invite nécessairement à (re)questionner l’état actuel de la PMA en France et, dans le même temps, met en exergue les possibles limites du droit actuellement en vigueur.

  • Que prévoit la législation en vigueur en cas de décès d’un membre d’un couple engagé dans un processus de PMA ?

La Haute juridiction administrative a pris le soin de rappeler la législation en vigueur à cet effet, aux visas des articles L. 2141-2, L. 2141-4 et L. 2141-9 du code de la santé publique.

Si l’article L. 2141-2[5] prévoit l’hypothèse d’un transfert d’embryons, il pose formellement que le décès d’un des membres du couple, y fait obstacle. Cette interdiction est d’autant plus certaine que l’article L. 2141-4[6] du même code n’envisage que trois issus au décès de l’un des membres du couple : l’accueil des embryons par un autre couple (sous certaines conditions), que les embryons fassent l’objet de recherches, ou qu’il soit mis fin à leur conservation.

Cependant l’article L. 2141-9[7] apporte une exception à ce principe d’interdiction. Les sorties ou entrées d’embryons du territoires sont possibles dès lors qu’elles ne contreviennent pas aux principes bioéthiques de la loi française et s’il s’agit de permettre la poursuite du projet parental du couple, sous réserve d’y être autorisé par l’Agence de la biomédecine.

C’est vraisemblablement autour de ce concept de « projet parental du couple » que cet arrêt interpelle.

  • La position retenue par le Conseil d’État

L’interdiction susvisée étant entérinée par le droit français, le Conseil d’État s’est fait juge européen de première instance en appréciant la conformité de cette interdiction au droit de l’Union Européenne à la lumière de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ainsi, il en ressort que les restrictions apportées par l’article L. 2141-9 n’ont qu’un seul but : éviter que les dispositions des articles L. 2141-2 et L. 2141-4 du Code de la santé publique, principes bioéthiques français, ne soient contournées.

En l’espèce, le Conseil d’État ne conclut pas en l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale du droit à la vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la convention.

Dans son considérant de principe, le juge aligne sa solution concernant les transferts d’embryons post-mortem sur sa jurisprudence déjà constante en matière de transferts de gamètes post-mortem. Pour se faire, le Conseil d’État recourt à son faisceau d’indices habituel. Or, en l’espèce, aucun lien de la requérante avec l’Espagne n’est établie, si ce n’est sa législation permettant un transfert d’embryons post-mortem prohibé par les principes bioéthiques français. Le projet parental tel qu’arrêté par le couple du vivant de l’époux n’a pas à être considéré.

Cet arrêt apparaît nécessairement comme novateur, dans le sens où c’est la première fois que la Haute juridiction se prononce à ce sujet. Cependant, il apparaît aussi qu’il s’agisse davantage d’une extension de sa jurisprudence applicable aux gamètes. Dès lors, il semble envisageable de penser que si des circonstances particulières existaient, telles que celles évoquées dans l’arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2016 précédemment cité, le transfert d’embryons post-mortem pourrait être envisagé. Sur ce point, il est difficile de s’avancer puisque cela relève strictement de l’appréciation souveraine des juges.

Mais qu’en est-il de ce sujet dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique en discussion ?

  • Un mouvement majoritairement défavorable au transfert d’embryons post-mortem

Un certain nombre d’amendements ont été déposés dans le cadre du projet de loi bioéthique. À ce titre par exemple, les sénateurs Madame HERGOZ et Monsieur MASSON avaient déposé un amendement[8] visant à autoriser l’insémination ou le transfert d’embryon suite au décès de l’homme, dès lors que son consentement concernant la poursuite de la PMA avait été donné par acte notarié. Toutefois, tout comme les autres amendements convergeant vers une légalisation de la PMA post-mortem, sénateurs et députés, s’y sont opposés.

Reste à voir comment les choses évolueront à ce sujet. En effet, pour l’heure, le projet de loi adopté par le Sénat de 4 février dernier en première lecture ne retient aucune disposition en ce sens. Plusieurs arguments sont mis en avant, notamment par le Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) dans son avis n°113[9].

Autoriser le transfert d’embryons post-mortem pourrait contrevenir à l’« l’intérêt supérieur de l’enfant » et requestionner le caractère libre et éclairé du consentement de la mère qui viendrait à donner naissance à cet enfant, que le CCNE désigne comme « l’enfant né du deuil »… des mots forts qui mettent en avant l’image d’un enfant privé d’un de ses « biens élémentaires », avoir un père. Les possibles conséquences sur la santé psychologique de l’enfant sont aussi mises en avant.

Tout argument est sensiblement recevable. Toutefois, une question subsiste aux vues de arguments avancés par le CCNE… Pourquoi distinguer le veuves des mères célibataires… ou d’un couple de femmes ? En effet, le projet de loi entend étendre la PMA à celles-ci. Une affaire à suivre…[10]

[1] Article 8 de la CEDH, page 11 :  https://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf

[2] CE, ass., ord., 31 mai 2016, n° 396848 (cas de transfert de gamètes autorisé pour une veuve espagnole d’un italien qui résidait en France retournée vivre en Espagne suite au décès : circonstance particulière)

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000032617454

[3] faits : veuve espagnole d’un italien qui résidait en France retournée vivre en Espagne suite au décès – transfert de gamètes autorisé – circonstance particulière]

[4] CE, 13 juin 2018, n° 421333 (cas de refus de  transfert de gamètes pour une veuve française résidant en France : pas de circonstance particulière)

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do;jsessionid=E46B06171F3820FD4B416E6DA3B046FD.tplgfr32s_3?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000037076511&fastReqId=86873596&fastPos=5086

[5] Article L 2141-2 du Code de la santé publique : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000024325534&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20110709

[6] Article L. 2141-4 du Code de la santé publique : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=5EF6466B1A1DCC8646563F66C678C7F8.tplgfr32s_3?idArticle=LEGIARTI000024325538&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20110709&categorieLien=id&oldAction=&nbResultRech=

[7] Article L.2141-9 du Code de la santé publique : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=5EF6466B1A1DCC8646563F66C678C7F8.tplgfr32s_3?idArticle=LEGIARTI000006687435&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20110709&categorieLien=id&oldAction=&nbResultRech=

[8] Amendement présenté par les sénateurs Mme. HERGOZ et M. MASSON : http://www.senat.fr/enseance/2019-2020/238/Amdt_64.html

[9] Avis n°113 du CCNE « La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple, pages 5-9 : https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_113.pdf

[10] Projet de loi relatif à la bioéthique : https://www.vie-publique.fr/loi/268659-projet-de-loi-bioethique-pma

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