ARTICLE – Plus ou moins de pouvoirs pour la CME d’établissement : les contradictions du projet de loi de santé

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 29/03/2019

Par Marine Gey-Coué, consultante du Centre de droit JuriSanté, CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°584, mars 2019

C’est l’une des dix mesures phares de la réforme « Ma santé 2022 », la huitième pour être précise : « l’élargissement des compétences de la commission médicale d’établissement (CME) pour renforcer la participation des médecins au pilotage des hôpitaux ». Il s’agit, selon le dossier de presse communiqué le 18 septembre 2018, d’une part, d’associer mieux la CME en amont de l’élaboration des décisions structurantes pour la politique médicale, la qualité et la pertinence des soins, et d’autre part, d’élargir les compétences de la CME à de nouveaux domaines : formation médicale, GPEC, projet social et managérial médical. Belle initiative !

Pourtant, à bien regarder de près la version bleue du projet de loi de santé[1], il est davantage question de créer une commission médicale de groupement au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et de déporter les discussions médicales au niveau territorial. Ne déshabillerait-on finalement pas Pierre pour habiller Paul ?

1. La fin programmée des collèges médicaux de GHT

Le projet de loi de santé crée un nouvel article L.6144-2-1 dans le code de la santé publique (CSP) et institue une commission médicale de groupement obligatoire. Ce n’est pas anodin lorsque l’on se penche sur l’origine de la création de l’instance médicale du GHT. La loi de santé du 26 janvier 2016[2] ne l’évoque pas expressément et se contente de prévoir des instances communes facultatives[3]. C’est le décret du 27 avril 2016[4] qui a rendu obligatoire « la mise en place d’un collège médical ou d’une commission médicale de groupement » en créant l’article R.6132-9 CSP.

La distinction entre collège médical et commission médicale de groupement se situe au niveau de leur composition et de leur champ de compétences respectifs :

  • Le collège médical de groupement repose sur une libre détermination par les partenaires de sa composition et de ses compétences, la convention constitutive de GHT actant de cette organisation choisie de façon collaborative.
  • La composition de la commission médicale de groupement est quant à elle fixée a minima par le texte réglementaire : présidents et représentants désignés par les CME des établissements parties au GHT. La commission médicale de groupement suppose en outre une délégation, partielle ou totale, des compétences des CME des établissements parties à son propre bénéfice. La répartition des sièges et la liste des compétences déléguées sont ensuite déterminées par la convention constitutive du GHT.

Le choix initial entre collège médical et commission médicale de groupement revenait aux CME des établissements parties au groupement qui devaient, chacune, rendre un avis, la décision finale ayant ensuite été prise à la majorité.

Or, les chiffres diffusés par la DGOS sont sans appel : 82 % des GHT ont mis en place des collèges médicaux, préférant ainsi sanctuariser les compétences de leurs CME internes respectives[5].

En instituant une commission médicale de groupement obligatoire, le projet de loi de santé met donc un terme à cette distinction et à ce choix de gouvernance médicale au sein du GHT. Le projet de texte affiche en outre l’obsolescence programmée des collèges médicaux existants en fixant comme échéance butoir le 1er janvier 2021 au plus tard.

Par ailleurs, d’un point de vue légistique, le projet de texte hisse la commission médicale de groupement au niveau légal, aux côtés du comité stratégique de groupement et du comité territorial des élus locaux[6], lorsque les autres instances de consultations du GHT restent au niveau réglementaire. Il la classifie également dans une autre partie du code de la santé publique en la sortant du titre des coopérations (chapitre des GHT) pour l’intégrer au chapitre des organes représentatifs des établissements publics de santé.

C’est un signal fort de la volonté du ministère de donner une dimension stratégique aux représentants du corps médical, d’imposer le territoire comme échelon de référence de cette nouvelle stratégie médicale et d’en faire une composante intégrative de la restructuration territoriale des hôpitaux publics. En comparaison, jusqu’à présent, seul le pôle inter-établissement, qui a bénéficié dès 2016 d’un article spécifique au sein de l’organisation interne des établissements publics de santé[7], revêtait ses caractéristiques particulières, tout en restant facultatif.

2. La future commission médicale de groupement (CMG), pour une stratégie et une gouvernance médicale territoriales

S’agissant de la composition de la CMG, peu de changement sont envisagés au niveau légal. La composition est somme toute relativement succincte à ce stade puisque le projet de loi de santé ne détaille pas les types de représentants des personnels médicaux, odontologiques, maïeutiques et pharmaceutiques et renvoie, conformément à la hiérarchie des normes, à un décret d’application. Dans les rapports de la CMG avec les autres instances du GHT, le projet de texte précise que le président de la commission, élu par ses pairs, siégera de droit au comité stratégique du GHT, ce qui était déjà le cas du président de l’actuelle instance médicale de groupement (article R.6132-10 CSP).

Le projet de loi de santé distingue au moins deux missions de la CMG :

  • Elle « contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie médicale du groupement et du projet médical partagé du groupement. »

Pour conforter cette contribution du corps médical à la stratégie du GHT, le projet de texte ajoute en outre une nouvelle mutualisation obligatoire au sein du groupement, à savoir « la gestion des ressources humaines médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques »[8]. D’un point de vue juridique, l’établissement support du GHT gérera donc les ressources médicales pour le compte de l’ensemble des établissements du groupement si le projet de texte est promulgué en l’état. En pratique, les établissements parties devront s’entendre sur l’organisation de cette nouvelle mutualisation en déterminant le degré d’intégration et de délégation au bénéfice de l’établissement support et l’acter dans leur convention constitutive de GHT, en l’absence d’autres textes. Or, une ordonnance est d’ores et déjà prévue pour définir l’articulation des compétences respectives des directeurs d’établissements parties et des directeurs d’établissements support de GHT en la matière…

  • La CMG « contribue notamment à l’élaboration de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers. »[9]

La question qui se pose est celle de l’articulation entre la future CMG obligatoire et les CME des établissements parties. En effet, la contribution à l’élaboration de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers est une compétence traditionnellement réservée à la CME d’un établissement public de santé (article L.6144-1 CSP).

3. Mais quel avenir pour les CME locales?

L’actuel R.6144-1 CSP précise les matières sur lesquelles la CME est consultée, parmi lesquelles les orientations stratégiques de l’établissement, le projet médical de l’établissement, l’organisation en pôles de l’établissement, les modalités d’accueil et d’intégration des professionnels et étudiants, la gestion prévisionnelle des emplois et compétences, la politique de formation des étudiants et internes, la politique de recrutement des emplois médicaux, le plan de DPC. En raison de la création d’une CMG obligatoire et surtout de la mutualisation de la gestion des RH médicales au niveau du GHT, on peut légitimement s’interroger sur le devenir de certaines de ces compétences des CME des établissements parties.

La CMG aura-t-elle pour mission d’apporter une cohérence territoriale et sera-t-elle redondante dans la procédure de consultation ? Ou bien s’agit-il d’une articulation à définir entre CMG et CME des établissements parties ? Ou bien encore d’un transfert de compétences au bénéfice de la CMG ?

La stratégie et le projet médical de l’établissement, tout comme l’organisation polaire, continuent d’exister juridiquement aux côtés de la stratégie du GHT et du projet médical partagé, en raison de l’absence de personnalité morale du GHT. Une répartition de compétences, telle qu’elle est organisée en pratique à ce jour, entre niveau établissement (CME) et niveau territorial (CMG) ne semble pas impossible. En revanche, la mutualisation de la gestion des RH médicales au sein du GHT pourrait conduire au transfert de compétences des CME au bénéfice de la CMG car il serait surprenant de saisir les instances locales pour une fonction gérée au niveau du territoire.

L’actuel projet de loi de santé apporte un début de réponse en la matière. L’article 10 prévoit d’ores et déjà une habilitation pour le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour :

  • « Mettre en cohérence le fonctionnement et les champs de compétences des commissions médicales d’établissement et des commissions médicales de groupement ainsi que les attributions de leurs présidents respectifs ; »
  • « Etendre les compétences des commissions médicales d’établissements et de groupements ».

Autant dire que le ministère, après avoir posé le principe de la CMG obligatoire à dimension stratégique, se laisse néanmoins le temps de la concertation avec les acteurs médicaux avant de leur imposer toute organisation ! D’autant plus qu’un décret d’application devra déterminer la composition, les règles de fonctionnement et les compétences de la future commission médicale de groupement. Il conviendra donc d’attendre ces textes pour en savoir davantage.

Une autre ambiguïté du projet de loi de santé réside dans l’apparente contradiction entre création d’une CMG obligatoire aux compétence renforcées et affirmation du statut à part de la CME d’Hôpital de proximité. La réforme « Ma santé 2022 » annonce effectivement la labellisation des premiers « Hôpitaux de proximité » en 2020 dont le statut spécifique permettra, entre autres, la participation de représentants des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) à la CME et au conseil de surveillance, ainsi qu’une gouvernance locale forte garantie par les GHT. L’article 8 du projet de loi prévoit qu’une ordonnance soit prise dans les 18 mois afin de redéfinir les missions, le financement et le fonctionnement des établissements de santé de proximité. A nouveau, il nous faudra donc attendre pour découvrir la transcription juridique des annonces faites par le gouvernement.

Enfin, et c’est peut-être là la plus grande annonce du projet de loi de santé, le III de l’article 10 prévoit que, dans l’année suivant la publication de la loi, une ordonnance permette d’organiser les conditions de fusion ou de substitution des instances des établissements parties et des instances du GHT, au titre desquelles les CME. L’ultime organisation du GHT pourrait ainsi conduire les établissements qui le souhaitent à fusionner toutes leurs instances internes (le texte vise bien une possibilité et pas une obligation[10]). Pour certains établissements, les CME disparaitraient donc purement et simplement pour se fondre dans une instance unique.

Tous ces éléments renvoyant à une ou plusieurs futures ordonnances à prendre dans l’année suivant la publication de la future loi de santé, nous n’avons guère de visibilité à ce stade. Le ministère a posé un principe, la stratégie et la gouvernance médicale territoriales, dont les contours et les impacts organisationnels restent flous puisqu’ils ne sont pas encore déterminés (ordonnances précitées, décret d’application fixant le champ de consultation de la CMG, ainsi que sa composition et ses règles de fonctionnement). La seule certitude est que « le Conseil d’Etat constate que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle. »[11] Reste à passer l’épreuve du feu des discussions parlementaires et des traditionnels amendements aux projets de loi. Surtout, et c’est l’essentiel, au-delà du souhait de l’administration centrale, l’enjeu de cette évolution repose sur la communauté médicale, son appropriation de la mesure et son investissement au quotidien dans la mise en œuvre espérée par les pouvoirs publics.

[1] La version bleue du projet de loi est la version validée par le Conseil d’État et transmise au Conseil des ministres le 13 février dernier.

[2] Article 107 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[3] Article L.6132-2 CSP : « c) Les modalités d’articulation entre les commissions médicales d’établissement pour l’élaboration du projet médical partagé et, le cas échéant, la mise en place d’instances communes »

[4] Article 1 du décret n° 2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux groupements hospitaliers de territoire

[5] Session GHT : panorama de la réforme et perspectives, Clémence MAINPIN, cheffe de projet GHT – Ministère des solidarités et de la santé, 2018, p. 35

[6] Futur article L.6144-2-1 pour la commission médicale de groupement (CMG) ; articles L.6132-2 et L.6132-5 CSP pour le comité stratégique et le comité territorial des élus locaux

[7] Article R. 6146-9-3 CSP

[8] Ajout au I de l’article L.6132-3 du « 5° La gestion des ressources humaines médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques, en cohérence avec la stratégie médicale du groupement élaborée avec le concours de la commission médicale de groupement »

[9] Article 8 du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, version bleue, p.20

[10] « Organiser les conditions dans lesquelles les établissements parties à un groupement hospitalier de territoire peuvent fusionner ou substituer leurs commissions médicales d’établissement et leur commission médicale de groupement hospitalier de territoire », art. 10 III 1° e) du projet de loi de santé, version bleue, p.22

[11] Avis CE du 7 février 2019 sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, p. 7