Article – Le GHT et la personnalité morale, un nouvel exemple de simplexité?

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 04/03/2024

Kelly Vang, Juriste, consultante Centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 633 – février 2024

La loi Valletoux[1] du 27 décembre 2023 est venue compléter le dispositif des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Il est désormais possible pour les établissements membres de doter leur GHT de la personnalité morale, faculté qui n’avait jusqu’alors pas été prévu.

Les prémices du GHT ont été établies par les ordonnances Juppé de 1996[2] avec les communautés d’établissements de santé. Lesquelles ont été ensuite remplacées par les communautés hospitalières de territoire en 2009, avec la loi HPST[3], avant de devenir les GHT, obligation imposée par la loi du 26 janvier 2016[4].

Une évolution en plusieurs temps mais cohérente sur un point : les GHT (à l’instar de leurs prédécesseurs) ne sont pas dotés de la personnalité morale, leur existence repose sur une convention passée entre plusieurs établissements publics de santé. Cette nouvelle disposition pourrait donc être considérée comme innovante puisque, pour la première fois, l’idée d’une personnalité morale a finalement été adoptée.

Pour autant, cet outil complémentaire, qui ne reste pour le moment qu’un droit d’option pour les GHT, représente-t-il réellement un nouveau levier ?

Un état d’avancement des GHT

Le déploiement des GHT sur le terrain s’est effectué en plusieurs étapes. Tout d’abord avec la conclusion des conventions constitutives puis avec l’élaboration des premiers projets médicaux partagés et enfin avec les mises en œuvre successives des mutualisations de fonctions.

Alors que plusieurs réformes se sont succédé afin d’accélérer l’intégration des GHT, les établissements de santé ont en revanche eu des difficultés à les mettre en application. Par exemple, la mutualisation de la stratégie des ressources humaines médicales, dont la mise en œuvre devait être effectuée au plus tard au 1er janvier 2022, n’en est qu’à ses balbutiements dans de nombreux établissements. Ces difficultés peuvent s’expliquer par de nombreux facteurs, dont beaucoup ne sont pas liés aux établissements eux-mêmes (crise sanitaire, manque de moyens humains et financiers, dispositifs juridiques complexes…). Ils n’ont donc pas tous évolué à la même vitesse.
De plus, les obligations inhérentes aux GHT sont souvent, dans les textes, supportées par l’établissement support, conséquence directe de l’absence de personnalité morale. Il en va ainsi du budget G ouvert dans la comptabilité de l’établissement support, pour retracer des opérations liées aux mutualisations dans le groupement.
Par ailleurs, la cartographie des GHT connaît ses premières évolutions notables, à coups de fusions ou de scissions, après plusieurs années de stabilité.

Par exemple, le début de l’année 2023 a été marqué par deux fusions de GHT :

  • les GHT Rhône-Vercors-Vivarais et Sud-Drôme-Ardèche sont devenus le GHT Ardèche-Drôme, composé désormais de 19 établissements ;
  • les GHT Rhône-Centre et Val-Rhône sont devenus le GHT Val-Rhône-Centre.

Fin 2022, le GHT Hainaut-Cambrésis s’est quant à lui scindé lorsque deux établissements ont quitté le groupement pour en créer un nouveau, de taille plus modeste.

De plus, certains établissements demeurent sous le régime dérogatoire prévu par l’article L.6132-1 du Code de la santé publique (CSP). C’est le cas du centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Le Vinatier, dont la dérogation a été prolongée une nouvelle fois jusqu’au 31 décembre 2024. L’agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes justifie cette décision « considérant la nature, la spécificité et le rayonnement territorial des missions dévolues au centre hospitalier ».

Ainsi, les GHT n’ont pas encore tout à fait trouvé leur stabilité puisque des mouvements sont toujours opérés dans le but d’améliorer l’offre de soins proposée et de créer des liens de coopération plus adaptés aux besoins de la population.

Les 136 GHT constituent donc actuellement un ensemble hétérogène, avec un degré de maturité bien variable d’un territoire à l’autre. C’est donc dans ce contexte que s’inscrivent la loi Valletoux et sa proposition de changement radical de fonctionnement.

La personnalité morale, ou poudre de perlimpinpin ?

Selon la loi du 27 décembre 2023, cette nouvelle possibilité serait un « outil complémentaire pour simplifier les nombreuses procédures et renforcer l’organisation territoriale des soins [5] », mais elle fait également écho à cette crainte, présente depuis la création des GHT, concernant une intégration probablement trop poussée des établissements de santé qui, à terme, ne ferait que diminuer leur efficience. Ce dispositif, prévu par le nouvel article L.6132-5-2 du CSP, offre deux possibilités pour doter un GHT de la personnalité morale :

  • la fusion : cette hypothèse est récurrente dans le système hospitalier, sans être pour autant systématique, notamment pour les groupements composés de nombreux établissements à taille variée. En pratique, la fusion n’est envisageable que pour ceux composés de deux, parfois trois et rarement quatre établissements. Beaucoup de professionnels considèrent le GHT comme un accélérateur de fusions, a minima de directions communes. Le but (non avoué ?) du GHT est et reste, depuis sa création, une concentration du pilotage administratif, juridique et financier des établissements publics de santé sur un territoire. Mais alors, en cas de fusion de tous les établissements du GHT, que peut encore apporter le GHT, même pourvu de la personnalité morale ? Quel intérêt y trouveront des établissements qui seront allés au bout de la démarche de restructuration ? On comprend d’ailleurs mal la seconde phrase du paragraphe : « Dans ce cas, l’établissement issu de la fusion n’est pas tenu d’être partie à la convention [de GHT]. » S’il n’y a plus obligation d’un établissement issu de la fusion des parties à un GHT d’être lui-même en GHT, que vaut cette possibilité d’accès à la personnalité morale du groupement ? ;
  • le groupement de coopération sanitaire (GCS) de moyens. Le GHT peut acquérir la personnalité morale lorsque l’ensemble des établissements parties constitue, à l’exclusion de tout autre membre, un groupement de coopération sanitaire afin qu’il assure au moins les fonctions obligatoirement mutualisées que sont le système d’information (SIH), le département d’information médicale (DIM), les achats, la formation et les écoles et, le cas échéant, les autres compétences (pharmacie, biologie, imagerie, équipes médicales communes…).

Cette option répond à première vue à un débat ouvert dès 2016 à la création des GHT : pour porter toutes les mutualisations obligatoires, ne faut-il pas doubler le GHT d’une structure dotée de la personnalité morale ? Et ce afin d’apporter au GHT les prérogatives qui lui manquent :

  • budget autonome,
  • recrutement et emploi directement des personnels,
  • acquisition et gestion d’un patrimoine mobilier et immobilier en propre,
  • portage d’autorisations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds,

Mais ici, ce sont les conditions d’octroi de la personnalité morale qui posent question : le périmètre organique (membres) du GCS doit être exactement celui du GHT. Quels territoires en sont capables ? Car en pratique, le GHT n’a pas mis fin, loin de là, aux nombreuses coopérations extra-GHT, entre établissements publics et privés, ou avec d’autres hôpitaux publics.

Dès lors, qui sera prêt à se lancer dans la construction d’un tel GCS, aussi large dans son objet, aussi lourd dans sa gestion ? Tout ça pour pouvoir donner la personnalité morale au GHT qui subsistera ? Et ce n’est pas la dispense de statut de GCS établissement de santé en cas de portage d’autorisations d’activités qui constituera un élément déterminant de la décision…

En outre, une variable doit encore être ajustée, le régime juridique des GCS. Il est nécessaire de pouvoir articuler les règles applicables aux GCS et aux GHT, notamment en termes de gouvernance. Alors que les GHT comportent plusieurs instances (comité stratégique, commission médicale de groupement, commission des usagers, commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-technique et comité territorial des élus locaux), les seules instances obligatoires des GCS sont l’administrateur et l’assemblée générale des membres. Même si certaines pourraient se substituer à d’autres, le comité stratégique et l’assemblée générale par exemple, les rôles de chacun seront inévitablement redéfinis.

À ce stade, seul l’article L.6132-5-2 du CSP vient apporter quelques précisions : « L’administrateur du groupement de coopération sanitaire exerce l’ensemble des prérogatives accordées au directeur de l’établissement support. » Le directeur devient alors administrateur du GCS et le président de la commission médicale de groupement (PCMG) devient son vice-administrateur.

Les autres modalités d’application seront déterminées dans un décret en Conseil d’État à venir.
Et on attendra beaucoup de ce décret, car le régime juridique du GCS impose de déterminer les équilibres décisionnels dans la convention constitutive. Pour rappel, l’article L.6133-4 du CSP prévoit que cette convention « précise la répartition des droits statutaires de ses membres, proportionnellement à leurs apports ou à leur participation aux charges de fonctionnement »

Ainsi, il serait possible que les équilibres décisionnels actuels soient rediscutés en octroyant davantage de pouvoir aux petits établissements du groupement. Néanmoins, bien que juridiquement possible, cette redistribution des cartes est-elle réaliste ? Au décret à paraître de régler ces questions ? Que les établissements optent pour la fusion ou la création d’un GCS, la mise en place et la gestion de la personnalité morale restent finalement difficiles.

Cette nouvelle mesure semble pour l’instant davantage ressembler à un parfait exemple de la simplexité, nouvelle notion résumant la volonté erronée de rendre simple un concept complexe. Cette (fausse ou bonne ) idée qui ouvrirait le champ des possibles n’embarquera que davantage les établissements dans des engrenages administratifs et juridiques complexes. Alors que les GHT d’aujourd’hui peinent déjà à respecter les dernières mesures édictées, le législateur pousse les établissements de santé vers une nouvelle étape de restructuration, mais il en oublie la préoccupation plus alarmante des besoins du terrain.



NOTES

[1] Loi n°2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels.

[2] Ordonnance n°96-346 du24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée.

[3] Loi n°2009-879 du 21 juillet2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

[4] Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016de modernisation de notre système de santé.

[5] Extrait des débats en séance publique du 25 octobre 2023 (première lecture au Sénat).