Note de jurisprudence – Refus de titularisation d’un agent public ayant tenu des propos inappropriés sur les réseaux sociaux (à propos de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, 04 mai 2022, n°19BX02151)

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 28/07/2022


Laurette Vilard
, juriste, apprentie du centre de droit JuriSanté du CNEH

Les professionnels des établissements de santé doivent être vigilants quand ils publient sur les réseaux sociaux ! Deux arrêts illustrent les conséquences juridiques de publications imprudentes :

  • La Cour d’appel de Douai a condamné à une sanction disciplinaire un agent « ayant publié sur un réseau social des messages relatifs au fonctionnement de l’établissement et dénigrant l’infirmière coordinatrice »[1].
  • La Cour d’appel de Marseille a confirmé le manquement à l’obligation de réserve de l’agent qui remettait en cause sur un réseau social les compétences managériales du personnel hospitalier[2].

Les professionnels pensent être protégés lorsqu’ils publient des messages sur leurs comptes privés. Mais attention si ceux-ci sont accessibles au public par le biais des commentaires ou des re-postages d’autres membres actifs disposant d’un compte public ou dont les publications sont publiques sur les réseaux sociaux… comme dans cette affaire jugée devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 4 mai 2022.

Les faits : Madame D. a été recrutée par la région Martinique au grade d’adjointe administrative en qualité de stagiaire à temps complet, pour une durée d’un an et prolongée, par la suite, pour une durée de 6 mois. Mais la stagiaire a tenu sur son Facebook des tenus des propos inappropriés à l’encontre d’élus de la collectivité territoriale. Par une décision du 15 février 2017, le président de la collectivité territoriale a informé l’intéressée de sa décision de refuser de la titulariser. Enfin, le président a pris un arrêté le 25 juin 2018 mettant fin à son stage et la radiant des effectifs de la collectivité.

La procédure : Madame D. a demandé au Tribunal administratif de la Martinique d’annuler la décision du 15 février 2017 ainsi que l’arrêté du 25 juin 2018. Elle estimait ainsi que son employeur ne pouvait utiliser ses propos tenus sur son compte personnel Facebook sans utiliser des moyens de preuves déloyaux. Toutefois, par un jugement du 14 mars 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par conséquent, elle porte l’affaire en appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

La décision : Dans un premier temps, le juge administratif s’interroge sur la légalité de la décision par laquelle le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique a refusé de titulariser Madame D.

Pour la Cour, un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou de sa formation la qualité de stagiaire, se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l’appréciation sur son aptitude à exercer les fonctions portées par l’autorité compétente.

Pour apprécier la légalité d’une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier les éléments suivants :

  • Qu’elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ;
  • Qu’elle n’est entachée ni d’erreur de droit, ni d’erreur manifeste dans l’appréciation de l’insuffisance professionnelle de l’intéressé ;
  • Qu’elle ne revête pas le caractère d’une sanction disciplinaire et n’est entachée d’aucun détournement de pouvoir ;
  • Et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l’intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

Dès lors, il ressort que le refus de titularisation de Madame D. a été justifié par des propos inappropriés qu’elle a tenu sur les réseaux sociaux à l’encontre des élus de la collectivité territoriale à laquelle elle appartenait. Elle qualifie les élus de « menteurs » et fait état de la défaillance du management du personnel. Ces propos sont accompagnés de termes explicites et/ou accompagnés de photographies permettant d’identifier les personnes incriminées. Bien que, le compte Facebook de Madame D. soit privé, ces publications ont fait l’objet de commentaires et de partages par d’autres membres ayant un compte public. Dans ces conditions, les captures d’écran attestant des faits par la collectivité territoriale n’ont donc pas été obtenus par des procédés déloyaux et justifient le refus de titularisation de l’intéressée.

Dans un second temps, le juge administratif s’interroge sur l’arrêté par lequel le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale a mis fin à son stage en qualité d’adjointe administrative et a prononcé sa radiation des effectifs.

La Cour administrative d’appel a considéré qu’en refusant de titulariser Mme D à l’issue de la prolongation de son stage, le président de la collectivité territoriale de Martinique a nécessairement mis fin au stage de l’intéressée qui n’avait ainsi plus la qualité de stagiaire lorsqu’elle a été radiée des effectifs quand bien même elle a poursuivi son activité au sein de la collectivité.

Conclusion

Neutralité, discrétion et réserve sur les réseaux sociaux pour les professionnels… et ce quand bien même leur publication est réalisée sur un compte privé !

Il est conseillé aux établissements de santé de former leurs agents sur leurs droits et obligations et de les sensibiliser sur la bonne utilisation des réseaux sociaux.


[1] CAA Douai, 2e chambre, 21/09/2021, 20DA01990. Inédit au recueil Lebon

[2] CAA de Marseille, 8e chambre – formation à 3, 02/04/2019, 18MA03897. Inédit au recueil Lebon