Article – L’exercice médical à l’hôpital – Cour de discipline budgétaire: condamnation de directeurs pour avantages injustifiés

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 01/06/2021

Marine Gey-Coué, juriste, consultante au Centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°606 – mai 2021

Dans un arrêt du 20 janvier 2021[1], la Cour de discipline budgétaire et financière a engagé la responsabilité du directeur d’hôpital au titre de sa mission d’ordonnateur sur deux sujets en lien avec sa politique de gestion des ressources humaines médicales: des redevances minorées irrégulières et des compléments de rémunération non conformes au statut de praticien attaché. La Cour a qualifié le premier cas d’infraction aux règles d’exécution des recettes et le second d’infraction aux règles d’exécution des dépenses, les deux constituant des avantages injustifiés entraînant un préjudice financier pour le centre hospitalier. Décryptage…

La responsabilité financière de l’ordonnateur

Ainsi que l’a rappelé la Cour des comptes à l’occasion du rapport établi par Jean Bassères et Muriel Pacaud sur la responsabilisation des gestionnaires publics [2], les grands principes qui doivent encadrer le maniement de l’argent public sont les suivants :

  • un contrôle indépendant et démocratique des finances publiques assuré par la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes ;
  • la séparation des ordonnateurs et des comptables ;
  • une responsabilité financière clairement identifiée.

Consciente des évolutions nécessaires du système, la Cour des comptes rappelle l’importance de la responsabilité des ordonnateurs devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Relève ainsi de la compétence de cette dernière «tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics» (art. L.312-1 du code des juridictions financières). Un centre hospitalier (CH) étant un établissement public de santé, son directeur est justiciable de la CDBF.

Plusieurs types d’infraction et de sanction sont prévus par les articles L.313-1 et suivants du code des juridictions financières. Dans l’arrêt du 20 janvier 2021, les juges ont retenu deux fondements pour condamner les directeurs :

  • l’article L.313-4, qui sanctionne l’infraction aux règles d’exécution des recettes des dépenses par une amende d’au moins 150 € et d’un montant maximum correspondant au traitement ou salaire brut annuel du directeur;
  • l’article L.313-6, qui sanctionne l’«avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé» par une amende d’au moins 300 € et d’un montant maximum correspondant au double du traitement ou salaire brut annuel.

Les sanctions peuvent donc être lourdes, jusqu’à deux fois le traitement annuel du directeur en cas d’avantage injustifié.

La gestion financière de l’exercice médical des libéraux à l’hôpital

Conformément aux dispositions des articles L.6146-2 et R.6146-17 et suivants du code de la santé publique (CSP), des médecins exerçant à titre libéral peuvent participer aux missions d’un établissement public de santé dans le cadre d’un contrat signé avec l’établissement, dénommé «contrat d’exercice libéral», pour une durée de 5 ans maximum, renouvelable. À ce titre, ces médecins peuvent prendre en charge des patients de l’hôpital et participer à la permanence des soins. En contrepartie d’un certain nombre d’engagements liés au respect des pratiques professionnelles, des garanties du service public hospitalier et de l’organisation interne de l’établissement [3], le médecin libéral intègre le service hospitalier et perçoit le versement de ses honoraires aux tarifs de ville (secteur 1), minorés d’une redevance, sur la base d’un état des actes dispensés à chaque patient qu’il transmet mensuellement au directeur de l’établissement. C’est du montant de cette redevance obligatoire dont il est question dans l’arrêt du 20 janvier 2021.

L’alinéa 3 de l’article R.6146-21 CSP définit la redevance comme «la part des frais des professionnels de santé supportée par l’établissement pour les moyens matériels et humains qu’il met à leur disposition». Le texte précise que «le taux de cette redevance est fixé en considération de la nature de l’activité du professionnel intéressé» et renvoie à un arrêté ministériel les modalités de calcul de ce taux. L’arrêté du 28 mars 2011 [4] dispose ainsi que ladite redevance est égale à un pourcentage des honoraires fixé à hauteur de 10% pour les consultations, 60% pour la radiologie interventionnelle, la radiothérapie ou la médecine nucléaire nécessitant une hospitalisation, 30 % pour les autres actes, quels qu’ils soient. Le dispositif juridique actuel ne prévoit ainsi aucune dérogation possible.

Dans l’arrêt du 20 janvier 2021, le CH en cause avait signé en septembre 2012 sept contrats d’exercice libéral dans le cadre de la reprise d’une clinique privée. Six prévoyaient une redevance de 12% sans distinction de la nature des actes pratiqués, le septième une redevance de 5%.

Certes, les juges financiers ont considéré comme irrégulières les clauses des contrats qui ne respectaient pas les dispositions de l’arrêté du 28 mars 2011, mais l’originalité de cet arrêt tient en ce qu’ils ont engagé la responsabilité financière du directeur en tant qu’ordonnateur ayant mis en recouvrement des redevances irrégulières. Pourquoi? Parce qu’ils ne pouvaient plus rechercher la responsabilité juridique du directeur en tant que signataire du contrat irrégulier, en raison de la prescription de 5 ans qui s’applique à eux [5]. La Cour ayant été saisie en décembre 2017, elle ne pouvait statuer que sur les infractions commises depuis décembre 2012, excluant donc la validité des contrats signés en septembre. En revanche, les actes de mise en recouvrement des redevances litigieuses réalisés entre janvier 2013 et novembre 2014 ne tombaient pas sous le coup de la prescription quinquennale et les juges ont estimé qu’ils ne respectaient pas non plus les dispositions de l’arrêté du 28 mars 2011. Les caractérisant d’agissements fautifs, les juges financiers ont retenu que ces actes de mise en recouvrement des redevances minorées constituaient à la fois une infraction aux règles d’exécution des recettes et un avantage injustifié entraînant un préjudice financier pour le CH. Ils condamnent le directeur à une amende de 1000 € pour avoir émis les titres de recettes et signé les lettres adressées aux médecins indiquant le pourcentage de redevance minoré.

Jusqu’ici, le risque juridique lié au non-respect de la réglementation du contrat d’exercice libéral se matérialisait davantage dans le refus potentiel d’approbation dudit contrat par l’agence régionale de santé (ARS). En effet, conformément aux articles L.6146-2 et R.6146-17 CSP, la procédure d’élaboration du contrat d’exercice libéral implique l’approbation du directeur général de l’ARS qui doit se prononcer dans le mois à compter de la réception du contrat signé. En cas de silence dans ce délai, le contrat est réputé approuvé. En pratique, certains acteurs considéraient d’ailleurs que cette approbation, expresse ou tacite, permettait de valider un montage pas tout à fait conforme au droit sous couvert de « régime dérogatoire » ou d’expérimentation, octroyant ainsi une sorte de validation administrative soustrayant au risque d’annulation par le juge.

Que nenni! Si la CDBF tient compte de l’approbation tacite de l’ARS dans cette affaire, c’est au titre des circonstances atténuantes, qui justifient une peine peu lourde mais n’excluent pas la responsabilité du directeur.

Les aménagements avantageux de la rémunération de praticiens attachés

La Cour retient également la responsabilité du directeur au regard de compléments de rémunération non conformes au statut de praticien attaché. Le statut des praticiens attachés est fixé aux articles R.6152-601 à R.6152-637 CSP.

Les praticiens attachés exercent des fonctions hospitalières et participent aux missions d’un établissement de santé. Ils sont affectés au service hospitalier sur un nombre de demi-journées hebdomadaires fixé par leur contrat (entre une et dix). Ils participent à la continuité des soins ou à la permanence pharmaceutique avec les autres praticiens de l’établissement. Ils sont recrutés pour un contrat d’une durée maximale d’un an, renouvelable dans la limite d’une durée totale de deux ans. Par suite, le renouvellement s’effectue par un contrat de trois ans, qui pourra se transformer en contrat à durée indéterminée (CDI) s’il est renouvelé à son échéance.

Les règles d’avancement sont fixées à l’article R.6152-611 CSP qui définit douze échelons. Ce même article prévoit la possibilité de verser une indemnité différentielle lorsque le premier recrutement en qualité de praticien attaché entraîne une diminution du montant des revenus perçus au cours de l’année précédant le recrutement. L’article 4 de l’arrêté du 21 octobre 2003 [6] précise le montant de cette indemnité qui «correspondant au plus à la différence entre ces revenus et la rémunération afférente au 1er échelon, et dans la limite de la rémunération correspondant au 11e échelon de praticien attaché et praticien attaché associé ». Cette indemnité différentielle diminue à concurrence de la progression de l’intéressé dans la grille de rémunération.

Dans l’arrêt du 20 janvier 2021, le CH en cause avait procédé au recrutement de quatre praticiens attachés associés entre mars 2015 et septembre 2016 en modifiant leurs contrats initiaux afin de leur accorder une «indemnité différentielle permettant de les rémunérer comme s’ils avaient été classés à un échelon supérieur auquel ils avaient droit». Les juges financiers ont considéré que le paiement de ces compléments de rémunération calculés sur la base d’un reclassement d’échelon non conforme au statut est constitutif d’une infraction aux règles d’exécution des dépenses et d’un avantage injustifié entraînant un préjudice financier pour le CH. Néanmoins, au regard de plusieurs circonstances atténuantes, le directeur responsable de ces agissements fautifs a été dispensé de peine.

Ce n’est pas la première fois que la CDBF condamne un directeur d’hôpital au titre de sa responsabilité financière en raison de rémunération plus avantageuse. Dans un arrêt du 15 décembre 2006 [7], la Cour avait en effet déjà condamné le directeur de l’hôpital en cause à une amende de 500 € pour avoir laissé perdurer un système de rémunération forfaitaire des astreintes médicales alors que la réglementation prévoyait une rémunération basée sur les services réellement effectués.

Alors pourquoi de telles rémunérations, avantageuses pour les médecins, sont-elles octroyées au mépris des règles statutaires? Afin d’attirer et fidéliser les médecins, et pour répondre aux difficultés parfois immenses de recrutement qui mettent en jeu la continuité et la survie de certaines activités hospitalières, vous diront la plupart des établissements publics de santé.

Quid des contraintes de la démographie médicale et des difficultés d’attractivité des établissements ?

Il est vrai qu’en pratique, l’hôpital public dispose de peu de marge de manœuvre, voire d’aucune, pour négocier la rémunération de son personnel médical et rester ainsi attractif face aux établissements privés ou au secteur libéral, plus rémunérateurs dans un contexte de démographie médicale de plus en plus contraint.

Bien que retenu comme circonstances atténuantes, cet argument n’est pas suffisant aux yeux des juges financiers pour exclure la responsabilité d’un directeur d’hôpital. Mais cumulé avec d’autres, la peine n’en est que moins lourde. Ainsi, dans le cas du versement des indemnités différentielles irrégulières, la CDBF a tenu compte de l’effet nécessairement limité dans le temps de ces montants voués à diminuer progressivement jusqu’à extinction (ce qui n’était pas le cas des redevances irrégulières au pourcentage fixe au profit des médecins libéraux). Par ailleurs, les mesures visant à optimiser et rationaliser les moyens de l’hôpital sont également retenues au titre des circonstances atténuantes par les juges. Ainsi, la constitution d’un groupement de coopération sanitaire et la mise en place d’une direction commune avec un autre CH ont été prises en compte par la CDBF pour justifier de la dispense de peine du directeur jugé responsable du versement des indemnités différentielles irrégulières.

La gestion des ressources humaines médicales à l’hôpital souffre ainsi de cadres juridiques contraignants, souvent considérés comme rigides et inadaptés à la démographie médicale actuelle. Ces constats ont été maintes fois remontés aux pouvoirs publics qui semblent s’être saisis de la problématique dans le cadre de la réforme «Ma santé 2022». Plus précisément, le projet de protocole d’accord concernant les personnels médicaux hospitaliers issu des négociations du Ségur de la santé, notamment dans son deuxième axe intitulé «Développer et valoriser les compétences tout au long de la carrière», prévoit de diversifier les modes d’exercice des praticiens en facilitant les passerelles entre public et privé par une refonte statutaire afin de permettre les exercices mixtes. C’est ce qu’introduit l’ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières. Une révision des règles de rémunération serait également tout à fait légitime à cette occasion.

Espérons donc que les réformes en cours apportent des outils plus adaptés à la pratique médicale et plus souples pour l’hôpital gestionnaire de RH médicales. À défaut, le directeur d’hôpital sera conduit à choisir entre fragiliser le fonctionnement de son établissement en limitant ses possibilités de recrutement médical pour respecter les normes juridiques, et risquer la condamnation financière en tant qu’ordonnateur à l’origine d’actes de gestion irréguliers. Le marteau ou l’enclume…


[1] Cour de discipline budgétaire et financière, arrêt n°246-824 du 20 janvier 2021 « Centre hospitalier de Chauny », JORF 29 janvier 2021, texte 101

[2] Communiqué de presse du 18 décembre 2020. www.ccomptes.fr/fr/communiquespresse/responsabilite-desgestionnaires-publics-la-courrappelle-trois-grands-principes

[3] Art. R.6146-18 CSP : « Par ce contrat, le professionnel de santé s’engage à respecter notamment :
1° Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la Haute Autorité de santé et les sociétés savantes ;
2° Le projet d’établissement, le règlement intérieur de l’établissement, ainsi que le programme d’actions prévu à l’article L. 6144-1 en ce qui concerne la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que les conditions d’accueil et de prise en charge des usagers ;
3° Les mesures mises en place dans l’établissement pour assurer la continuité des soins, et notamment les délais d’intervention des professionnels de santé.»

[4] Arrêté du 28 mars 2011 relatif à la redevance prévue à l’article R. 6146-21 du code de la santé publique.

[5] Art. L.314-2 du code des juridictions financières: « La Cour ne peut être saisie par le ministère public après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre.»

[6] Arrêté du 21 octobre 2003 relatif à l’indemnité de précarité prévue à l’article 12 et à l’indemnité différentielle mentionnée à l’article 13 du décret n° 2003-769 du 1er août 2003 relatif aux praticiens attachés et praticiens attachés associés, NOR : SANH0324226A

[7] CDBF – Arrêt – 15/12/2006 Centre hospitalier d’Ambert (Puy-de-Dôme) – n° 156-532.