De la notation à l’évaluation : la transformation du cadre d’évaluation des agents hospitaliers

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 05/10/2020

Céline Berthier, juriste consultante au Centre de Droit Jurisanté du CNEH

Marquant la volonté de transformation de la fonction publique de carrière vers une fonction publique de l’emploi, l’article 27 de la loi 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique prévoit, dans les trois fonctions publiques, une modification des conditions d’évaluation professionnelle des agents. Le décret n° 2020-719 du 12 juin 2020 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière supprime ainsi la notation au profit d’un nouvel entretien professionnel annuel.

L’enjeu est double. Il s’agit ici de supprimer le système de notation ressenti comme obsolète et inopérant mais surtout d’instaurer un nouvel outil de gestion des ressources humaines au profit des cadres de proximité qui tendent à devenir de véritables managers associés aux parcours de leurs agents. Telle est en tous cas l’ambition du texte…

Le nouveau dispositif s’inscrit toutefois dans la lignée de ce que les établissements ont déjà commencé à mettre en place à l’occasion de l’entretien annuel, ces nouvelles pratiques sont pérennisées et renforcées afin de valoriser et d’objectiver les compétences et la façon de servir de l’agent.

Mais au-delà de ce dispositif outillé et tracé, l’objectif est d’initier un nouveau mode de management permettant à l’établissement de mettre en adéquation ses ressources et ses besoins et de structurer la politique de gestion des ressources humaines, en étroite connexion avec les Lignes Directrices de Gestion que doivent édictées par les établissements à compter du 1er janvier 2021.

Le dispositif

Le dispositif d’entretien professionnel annuel prévu par le décret du 12 juin 2020 ressemble à celui prévu pour la fonction publique d’état (2012) et pour la fonction publique territoriale (2014). Il rappelle également celui prévu pour les agents contractuels, en fonction depuis plus d’un an, par le décret 91-155 relatif aux agents contractuels dans la fonction publique hospitalière.

Concrètement, ce dispositif prévoit un entretien professionnel annuel mené par le cadre hiérarchique direct. Cette notion de cadre hiérarchique direct est indépendante de la notion de grade et d’emploi puisqu’est visée ici la personne qui au quotidien organise le travail de l’agent, supervise son activité et qui est ainsi la mieux placée pour apprécier ses compétences et sa manière de servir.

A défaut de cadre hiérarchique direct, l’agent est évalué directement par le chef d’établissement ou son représentant.

Formellement, l’agent doit recevoir une convocation au moins 8 jours avant l’entretien. Cette convocation doit être accompagnée de la fiche de poste de l’agent et du support vierge du compte-rendu de l’entretien, support qui doit être adopté dans l’établissement par le chef d’établissement après consultation du Conseil Social d’Etablissement et du Comité Technique d’Etablissement dans l’attente de son installation.

Ainsi, ce formalisme qui doit permettre à l’agent de préparer au mieux et dans un délai raisonnable cet entretien suppose en amont, au sein de l’établissement, une mise à jour de l’ensemble des fiches de poste et un travail sur l’adoption d’un support de compte-rendu adapté à ce nouvel exercice. Enfin, une traçabilité de la convocation sera nécessaire afin de pouvoir être en mesure de prouver, si nécessaire, que l’agent a bien été prévenu dans les temps de la tenue de ce rendez-vous.

S’agissant du contenu et de la visée de l’entretien, le décret prévoit, en son article 4, une analyse commune des actions menées pendant l’année écoulée et la fixation des objectifs prioritaires pour l’année à venir. Il doit également permettre à l’agent de s’exprimer sur l’exercice de ses fonctions et son environnement professionnel ainsi que, le cas échéant, d’exprimer ses souhaits d’évolution de carrière.

Pour cela, une architecture et des items permettant au cadre d’évaluer et d’objectiver la valeur professionnelle de l’agent sont prévus à travers:

  1. L’atteinte des objectifs fixés l’année précédente ou lors de sa prise de fonction, en lien avec les conditions d’organisation et de fonctionnement du service : il s’agit ici de dresser un bilan de l’année écoulée par l’analyse des résultats professionnels obtenus au regard des objectifs fixés en n-1 en prenant en compte notamment les éléments qui ont pu influer la réalisation de ces objectifs ;
  2. La manière de servir, soit une appréciation générale sur la valeur professionnelle de l’agent, au-delà des résultats obtenus. Il sera intéressant de faire ressortir ici le potentiel de l’agent c’est-à-dire les aptitudes non évaluées mais pouvant être valorisées sur un poste ou un emploi ultérieur ;
  3. Les acquis de l’expérience professionnelle, notion qui peut se définir comme la mise en perspective des compétences développées par l’agent au regard des compétences requises par le poste, ce qui suppose la mise à jour préalable des fiches de poste déterminant les attentes en termes de savoir, de savoir-faire et de savoir-être en s’appuyant sur le référentiel des métiers et des compétences ;
  4. Les souhaits et perspectives d’évolution professionnelle en termes d’évolution de missions, de changement d’affectation, de mobilité ou de promotion professionnelle (avancement, prise de responsabilités, changement de poste, d’emploi…);
  5. Le cas échéant, ses capacités et son intérêt pour les fonctions d’encadrement afin d’identifier dans ce domaine les capacités potentielles de l’agent et son souhait à accéder à telles fonctions;
  6. Les objectifs fixés pour l’année à venir, participant de l’amélioration de ses compétences professionnelles en tenant compte, le cas échéant, des perspectives d’évolution des conditions d’organisation et de fonctionnement du service. Ces objectifs doivent être réalisables et fixés en nombre limité, en fonction des conditions de travail et des capacités de l’agent. Ils doivent pouvoir être observés et mesurés objectivement puisqu’un bilan en sera fait l’année suivante;
  7. Les besoins de formation eu égard, notamment, aux évolutions des techniques et des métiers, et s’agissant des personnels soignants, à l’évolution des modes de prise en charge. Ces besoins prennent en compte les missions confiées, les compétences que l’agent doit acquérir et son projet professionnel. Il est ici clairement stipulé que cet entretien professionnel peut se substituer à l’entretien de formation prévu à l’article 4 du décret du 21 août 2008 avec, notamment, une information claire sur la consultation en ligne du compte personnel de formation. Il est ainsi question d’un temps identifié pour évoquer les besoins de formation de l’agent, à la fois ses besoins exprimés précédemment et les suites apportées, les besoins identifiés par le cadre et l’agent pour la réalisation des missions et objectifs assignés et les besoins éventuels en terme d’évolution professionnelle.

Cet entretien est directement lié avec l’avancement de l’agent puisqu’il est prévu, lorsque celui-ci a atteint depuis au moins trois ans au 31 décembre de l’année au titre de laquelle est établi le tableau d’avancement de grade, le dernier échelon du grade dont il est titulaire et lorsque la nomination à ce grade ne résulte pas d’un avancement de grade ou d’un accès à celui-ci par concours ou promotion internes, que le cadre chargé de l’évaluation apporte une appréciation particulière sur ses perspectives d’accès au grade supérieur.

Cette appréciation particulière est prise en compte lors de la mise en œuvre des orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours définies par les lignes directrices de gestion.

L’article 5 du décret du 12 juin 2020 précise enfin, par souci d’un minimum d’homogénéisation des critères d’appréciation de la valeur professionnelle entre les différents établissements publics de santé, que les critères d’évaluation portent sur :

  1. Les résultats professionnels obtenus par l’agent et la réalisation des objectifs ;
  2. Les compétences et connaissances professionnelles et techniques ;
  3. La manière de servir de l’agent et ses qualités relationnelles ;
  4. La capacité d’expertise et, le cas échéant, la capacité d’encadrement ou à exercer des fonctions d’un niveau supérieur.

Sur cette base, il appartient alors à l’établissement de fixer précisément la teneur et la classification de ces critères qui seront consignés dans le modèle de compte-rendu d’évaluation professionnelle applicable dans l’établissement, après avis du Comité Social d’Etablissement (et, en attendant, du Comité Technique d’Etablissement).

Ainsi, l’entretien professionnel doit faire l’objet d’un compte-rendu, portant sur l’ensemble des items abordés, rédigé et signé par le cadre ayant mené l’entretien. Celui-ci doit être communiqué à l’agent dans les trente jours suivant l’entretien. L’agent dispose ensuite de 15 jours pour compléter et retourner le document. Le chef d’établissement peut compléter par la suite ce document et le remet signé à l’agent qui le signe à son tour et le transmet à l’établissement pour classement dans son dossier administratif.

Bien entendu, ce document peut faire l’objet d’une demande de révision par l’agent dans un délai de 15 jours francs à compter de sa notification. L’établissement dispose alors de 15 jours pour notifier sa réponse à l’agent qui, à partir de cette notification, dispose d’un délai d’un mois pour saisir la Commission Administrative Paritaire compétente. Après cet avis, l’établissement communique à l’agent le compte-rendu définitif de l’entretien professionnel.

Bien entendu, ce document peut faire l’objet d’une demande de révision par l’agent dans un délai de 15 jours francs à compter de sa notification. L’établissement dispose alors de 15 jours pour notifier sa réponse à l’agent qui, à partir de cette notification, dispose d’un délai d’un mois pour saisir la Commission Administrative Paritaire compétente. Après cet avis, l’établissement communique à l’agent le compte-rendu définitif de l’entretien professionnel.

L’importance de ce document n’est pas négligeable puisqu’il va intégrer le dossier de l’agent et va donc ainsi constituer un document socle pour sa carrière en termes d’avancement, de promotion, de de formation, de mobilité… L’article 2 du décret rappelle d’ailleurs la nécessaire confidentialité que doivent revêtir l’entretien professionnel et le compte-rendu qui en découle.

Ce document servira d’appui pour l’avancement de l’agent puisqu’il témoignera de sa façon de servir et de ses aptitudes professionnelles, un item spécifique est d’ailleurs prévu à cet effet en terme d’avancement de grade, en lien avec les Lignes Directrices de Gestion édictées par l’établissement.

L’article 8 du décret prévoit clairement que ce compte-rendu d’entretien sera pris en compte pour l’établissement du tableau d’avancement de grade et de la liste d’aptitude.

Il prévoit également que ce compte-rendu pourra être pris en compte pour le régime indemnitaire lorsque celui-ci prévoit une modulation en fonction des résultats individuels ou de la valeur professionnelle. Ce principe préfigure une nouvelle modélisation du régime indemnitaire, avec la disparition de la prime de service du fait de la suppression de la notation, en lien avec la façon de servir et les résultats obtenus par l’agent.

A noter ! Les articles 9 à 15 du décret du 12 juin 2020 s’attachent à décrire ce nouveau dispositif pour les personnels de direction et aux directeurs des soins. Servi par des items plus souples et par une autorité compétente qui sera fonction du poste occupé, cet entretien poursuit la même architecture, les mêmes objectifs et la même procédure que pour les autres agents titulaires.

Vers un nouvel outil de management

Au-delà de cette architecture et de cette procédure encadrée, l’objet de cette révision complète de l’entretien annuel par la suppression de la notation est de doter la gestion des ressources humaines d’un véritable outil de management permettant de mesurer objectivement et précisément la valeur professionnelle de l’agent afin de remettre cette notion au centre de la gestion de sa carrière.

L’ambition est de faire de cet entretien professionnel un véritable moment d’échanges et de dialogue qui ouvre plus de perspectives qu’une note chiffrée par la formulation d’une appréciation objective sur la manière de servir, tournée vers l’analyse du potentiel de l’agent, de ses possibilités et de ses perspectives d’évolution.

Le rôle de l’encadrement de proximité

Ce changement profond dans la conception et la visée de l’entretien professionnel suppose cependant une adaptation et une préparation des cadres chargés de cet exercice. Il nécessite en effet à la fois une formation à cette nouvelle procédure et une sensibilisation à cette nouvelle philosophie et bien au-delà une identification d’un temps nécessaire à sa préparation, sa réalisation et sa formalisation tout en ne négligeant pas la dimension psychologique et managériale d’un tel entretien pour ses deux protagonistes … Si l’entretien doit être conçu comme un levier de reconnaissance et de motivation au travail pour remettre les compétences au cœur de la fonction publique, ces aspects ne doivent pas être négligés et le travail préparatoire qui en découle ne doit pas être oublié.

Bien plus que la suppression de la notation, c’est un nouveau processus de gestion qui tend à émerger et auquel les cadres de proximité sont associés de façon étroite. Au regard des forts enjeux pour la carrière et l’évolution professionnelle de l’agent, les cadres devront être accompagnés dans ce nouvel exercice afin d’adopter une approche partagée, objective, constructive et pédagogique sans négliger l’impact psychologique de l’entretien.

A cet égard, la formation visée à l’article 64 de la loi de transformation du 6 août 2019 prévoyant que les fonctionnaires bénéficient, lorsqu’ils accèdent pour la première fois à des fonctions d’encadrement, de formations au management, permettra aux cadres novices de s’approprier cet outil majeur dans leurs nouvelles missions.

Un levier rénové de gestion des ressources humaines

Souvent décriée pour sa déconnexion et son obsolescence, la notation est supprimée, ce qui redonnera du sens à l’entretien professionnel en reconnectant la façon de servir au quotidien à l’évolution de la carrière, dont l’avancement, qui ne se veut plus uniquement statutaire.

Conçu comme un temps fort dans la gestion annuelle de l’agent et dans la relation managériale au sein du service, l’entretien professionnel entre le cadre et l’agent axé sur son travail, les attentes du service, son ressenti et ses perspectives doit devenir un véritable acte de management.

Cet entretien doit ainsi permettre :

  • A l’agent de comprendre clairement les objectifs assignés et leur bien-fondé pour le service, de s’impliquer davantage dans celui-ci et d’exprimer son avis et ses souhaits d’évolution,
  • Au cadre de faire un point avec l’agent sur ses compétences et ses attentes, d’assoir sa position managériale et de prévenir les conflits,
  • A la Direction des Ressources Humaines d’avoir une vision globale de ses ressources, de son potentiel et de ses fragilités, afin d’en déduire ses perspectives d’évolution qui serviront de base à sa politique des ressources humaines et à l’édiction des Lignes Directrices de Gestion.

Facteur d’efficience et de pertinence dans la gestion des ressources humaines, l’entretien professionnel devrait permettre une meilleure adéquation entre le profil de l’agent, ses compétences, ses aspirations et les missions qui lui sont confiées et celles sur lesquelles il pourrait évoluer et, au niveau plus global de bâtir une politique de ressources humaines au regard du capital et du potentiel humain de l’établissement.

L’entrée en vigueur du dispositif

L’article 18 du décret précise que ce dispositif entre en vigueur au 1er janvier 2021 en s’appliquant aux entretiens professionnels conduits au titre de l’année 2020. L’année 2020 ayant été marquée par la crise sanitaire du COVID19 qui devra nécessairement être prise en compte dans l’évaluation des agents, elle sera une année de transition qui permettra au nouveau dispositif de s’appliquer pleinement en 2022 avec l’évaluation des objectifs qui auront pu être clairement assignés aux agents en 2021.

Ce nouvel entretien professionnel est une illustration supplémentaire de la volonté de mutation de la fonction publique statutaire ou de carrière vers une fonction publique davantage axée vers le métier et les compétences.

Dans un contexte de transformation de la fonction publique et plus profondément de la société en elle-même où les métiers et les aspirations personnelles sont en pleine évolution, l’entretien professionnel devient un véritable outil au service de la construction du parcours professionnel de l’agent. Il doit lui permettre d’exercer au mieux son métier, de faire évoluer ses compétences, de valoriser son potentiel, de diversifier son parcours et ainsi de mieux trouver sa place au sein du service public hospitalier.

Pour l’établissement, ce nouvel entretien professionnel, détaché de la note, doit être appréhendé comme un outil de gestion des ressources humaines, à la fois technique et relationnel, en appui du nouveau management qu’ambitionne d’installer la loi de transformation de la fonction publique du 6 août dernier au travers des Lignes Directrices de Gestion, de la transformation de l’avancement et du nouvel exercice du dialogue social.

C’est en tout cas l’objectif poursuivi par ce nouveau dispositif mais pour réussir pleinement cet exercice, le défi sera pour les établissements d’appréhender cette transformation, de s’approprier pleinement cet outil en ne reproduisant pas les mécanismes de la notation et en réinterrogeant les procédures et la démarche.

Tout l’enjeu est de redonner du sens à l’entretien annuel, de le remettre au centre de la relation managériale et du parcours de l’agent afin de lui d’instaurer davantage de reconnaissance et de motivation au bénéfice d’une fonction publique transformée.

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