Article – Le non-renouvellement de CDD : le fond et la forme

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 15/06/2023

Céline Berthier, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH


Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 626 – mai 202
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Un établissement de santé peut-il ne pas renouveler le Contrat à Durée Déterminée (CDD) d’un agent ? Si la réponse apparaît évidente au premier abord, le sujet devient plus délicat quand sont abordées les notions de délais de prévenance ou de motivation. Si l’établissement a bien toute légitimité pour ne pas renouveler un CDD à son terme, d’où l’intérêt d’un tel contrat, cette décision obéit à un formalisme qu’il est utile de rappeler. 

Sur quels motifs l’administration peut-elle se baser pour ne pas renouveler un contrat et sa responsabilité est-elle engagée si ce non-renouvellement n’est pas signifié dans les délais règlementaires ?

Saisie sur ces sujets, la Cour Administrative d’Appel de Lyon[1] a récemment procédé à une piqûre de rappel sur les règles encadrant ces fins de contrats des agents en CDD.

1 – Le fond : le non-renouvellement de contrat doit être motivé par l’intérêt du service

Les faits relèvent d’une situation classique en établissement de santé : un agent, en l’espèce un psychologue est recruté à temps non complet en remplacement d’un agent absent par différents CDD successifs dont le dernier n’a pas été renouvelé par une décision en date du 20 novembre 2018 pour un terme au 31 décembre 2018. La décision n’avait pu être notifiée en raison d’un changement de résidence de l’intéressé.

Le Tribunal Administratif de Lyon avait en première instance rejeté la demande d’annulation de l’agent par une décision en date du 18 novembre 2020, décision que le requérant contestait auprès de la Cour Administrative d’appel (CAA) de Lyon avec une demande d’indemnisation d’un montant de 11 000€ au titre des préjudices moraux et financiers causés par ce non-renouvellement.

Sur la question de l’illégalité du non-renouvellement, la Cour rappelle le principe immuable selon lequel il n’existe aucun droit au renouvellement de contrat pour les agents concernés pour ensuite rappeler que le non-renouvellement doit toutefois se fonder sur l’intérêt du service.

Vaste notion de l’intérêt du service qui ne saurait suffire en tant que telle mais qui doit être précisée et prouvée selon les circonstances.

C’est justement ce qui est reproché à la situation analysée ici : l’établissement, pour justifier du non-renouvellement du contrat du psychologue et précédemment d’un renouvellement pour une durée d’un mois et non plus de six, invoquait des difficultés dans sa pratique professionnelle à savoir « des écarts de perception et un manque de distanciation » ou encore « des difficultés liées au devoir de réserve et au respect de la hiérarchie ».

Ces manquements, s’ils sont bien de nature à justifier le non-renouvellement d’un agent dans ses fonctions dans l’intérêt du service doivent cependant être étayés et ne peuvent être ainsi invoqués par l’établissement sans fondement.

Et l’établissement ici ne rapportait pas d’autres éléments à l’appui des faits reprochés à l’agent : ces problèmes de pratiques professionnelles et de comportement n’étaient pas accompagnés de comptes-rendus d’entretiens spécifiques, d’exemples dûment datés et constatés qui viendraient corroborer les motifs invoqués par l’établissement et prouver une information claire et loyale envers l’agent concerné.

En l’absence de preuves, la Cour Administrative de Lyon considère donc cette décision de non-renouvellement insuffisamment motivée, et de ce fait illégale, et condamne l’établissement à une indemnisation à hauteur de 2 000€ mais non de 11 000€ comme le demandait l’agent.

En effet, si la responsabilité de l’établissement est bien engagée pour ne pas avoir suffisamment et correctement motivé sa décision de non-renouvellement, la Cour considère qu’il appartient à l’agent de prouver en quoi ce non-renouvellement illégal lui a porté préjudice.

Si cette illégalité entraine une indemnisation du fait des droits lésés en se fondant sur l’ancienneté de l’agent et sur sa rémunération moyenne, le préjudice relevant d’un trouble plus conséquent dans ses conditions d’existence, dans ses conditions de vie matérielles et financières doit être rapporté par l’agent avec à l’appui des preuves concrètes de ces difficultés et/ou de ses recherches de nouvel emploi, ce qui faisait défaut ici.

Le même raisonnement sera suivi s’agissant du non-respect des délais de prévenance dans la décision de l’établissement de ne pas renouveler le contrat de l’agent : si ce délai est bien à respecter par l’établissement, sa responsabilité ne sera engagée qu’à condition pour l’agent de prouver en quoi ce non-respect du formalisme requis lui a causé préjudice.

2 – La forme : un non-renouvellement qui doit respecter un délai de prévenance

Sur cette question encore, il n’est question que de rappeler les principes énoncés par l’article L. 332-19 du Code de Gestion de la Fonction Publique (CGFP) sur le recrutement des agents contractuels en établissement de santé : il est tout à fait légal de recruter un agent sur un emploi temporaire pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires indisponibles pour des congés divers, dont majoritairement en pratique des congés maladie.  Ce contrat est renouvelable, par décision expresse, dans la limite de la durée de l’absence de l’agent à remplacer.

Il est d’ailleurs à noter la possibilité, différence notoire avec les possibilités offertes par le Code du Travail dans le secteur privé, de recruter un agent pour le remplacement successif ou simultané de plusieurs agents temporairement absents[2].

La règle de « CDIsation » selon laquelle tout contrat de travail conclu ou renouvelé sur un emploi permanent avec un agent qui justifie d’une durée de services publics de 6 ans auprès du même employeur public et dans la même catégorie hiérarchique est conclu, par décision expresse, pour une durée indéterminée ne s’applique pas dans le cas de contrat « de remplacement » puisqu’il ne s’agit précisément pas d’emploi permanent.

Le renouvellement successif de ces contrats est toutefois contrôlé par le juge administratif, en application notamment d’une directive européenne[3]. Le juge peut considérer un tel renouvellement abusif « en fonction des circonstances dans lesquelles les contrats ont été renouvelés…des fonctions exercées par l’agent, [du] type d’organisme qui l’emploie, ainsi [que du] nombre et à la durée cumulée en cause »[4] et ainsi ouvrir droit à réparation.

Lorsque ces contrats prévoient une possibilité de renouvellement, l’employeur public doit signifier son intention de renouveler ou non ce contrat en respectant des délais de prévenance qui vont de 8 jours à 3 mois selon l’ancienneté de l’agent dans l’établissement, tous contrats confondus dès l’instant qu’il n’y a pas de délai de 4 mois entre deux contrats et que cette interruption n’était pas due à une volonté de l’agent.

Le souhait de renouvellement de l’établissement doit être signifié de façon expresse, et donc écrite, alors que l’agent dispose d’un délai de 8 jours pour accepter cette proposition. Passé ce délai et sans réponse de l’agent, celui-ci est présumé renoncer à cet emploi et ne sera donc pas, dans un premier temps en tout cas, éligible aux Allocations de Retour à l’Emploi. 

Mais après avoir procédé à ce rappel et comme ultérieurement invoqué par la Cour Administrative de Paris en 2018, le non-respect de ces délais de prévenance n’engage la responsabilité de l’établissement que s’il est rapporté la preuve d’un préjudice causé à l’agent, ce qui ici encore faisait défaut et l’argument a donc été écarté.

La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux avait précédemment jugé que, même sans respect du délai de préavis, le non-renouvellement d’un CDD restait légal[5].

Il est ainsi accordé, faut-il le souligner, une certaine souplesse pour les établissements dans la gestion de leur agents contractuels et plus particulièrement dans la gestion des renouvellements de contrats en matière d’absentéisme, qui sont le quotidien des établissements et relèvent parfois d’une course contre la montre. Le délai minimal de 8 jours relevant de l’impossible à tenir quand le retour ou non de l’agent remplacé n’est connu que le jour de son supposé retour…

Ainsi, si ce délai de prévenance est inscrit dans les textes et reconnu, il s’opère ici une sorte de retournement de la charge de la preuve envers les agents s’estimant lésés à qui il appartient de démonter en quoi le non-respect de ce délai leur a causé un préjudice d’ordre matériel, financier voire moral.

Cet arrêt ne fait que rappeler les principes de gestion des agents en CDD. Si l’employeur public dispose d’une certaine latitude pour l’emploi d’agents en contrats en durée déterminée, latitude nécessaire au fonctionnement du service public, celui-ci doit toutefois toujours bien justifier de la raison de ce contrat en durée déterminée, du motif de l’éventuel non-renouvellement et tracer expressément ces intentions auprès de l’agent concerné.

Au-delà des questions de délais de prévenance, la question de la motivation du non-renouvellement du contrat fondée sur l’appréciation de la manière de servir de l’agent est plus intéressante : elle traduit le devoir de management auquel sont soumis les établissements dans la gestion de leurs agents contractuels, y compris sur des emplois temporaires. Si l’administration a toute liberté voire légitimité pour ne pas renouveler le contrat d’un agent qui ne lui donnerait pas satisfaction, encore faut-il démontrer, preuves à l’appui, le décalage entre les attendus et la manière de servir de l’agent mais également comment l’agent a eu connaissance de ces décalages afin de pouvoir corriger sa pratique ou d’en anticiper les conséquences.

Cette décision, bien que classique et cohérente avec les principes de gestion édictés, n’est pas sans rappeler les travaux en cours dans de nombreux établissements pour la mise en place du nouvel entretien d’évaluation annuel, en remplacement de l’ancienne notation. Elle témoigne encore une fois du changement de paradigme dans la fonction publique où la gestion de la carrière laisse place à la notion de management, que ce soit dans le parcours professionnel d’un agent titulaire mais également dans celui plus temporaire tel d’agent en CDD pour remplacement d’un agent absent.

Charge toutefois pour l’agent de démontrer, si des manquements sont constatés, en quoi sa situation s’en trouve lésée dans une situation contractuelle où les deux signataires sont parties actives du déroulement du contrat et de ses suites.


[1] CAA Lyon, 14 décembre 2022, M.B, n°21LY00185

[2] CAA Bordeaux, 12 mai 2020, n°18BX00500

[3] Directive 1999 du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée

[4] CE 20 mars 2015, n°371664

[5] Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 12 mars 2013, n° 12BX00045