Note de jurisprudence – Vers de réelles garanties juridictionnelles pour les patients en UMD?

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 12/07/2023

Aude Charbonnel, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

A propos de la décision du Tribunal des Conflits du 3 juillet 2023 (n°C4279)

Le Tribunal des conflits a rendu le 3 juillet 2023 une décision importante concernant les droits des patients pris en charge en unité pour malades difficiles (UMD).


Les unités pour malades difficiles

Il y a 10 UMD en France qui accueillent des patients dont l’état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières (art. R3222-1 du code de la santé publique).

Les patients peuvent être placés dans ces unités soit dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement sous forme d’hospitalisation complète décidée par le préfet (art. L3213-1 du CSP), soit par l’autorité judiciaire (art. 706-135 du CPP).

Chaque UMD comporte une commission de suivi médical (art. R3222-4 du CSP). Lorsque cette commission, saisie le cas échéant par le psychiatre responsable de l’unité, constate que les conditions de prise en charge ne sont plus remplies, elle saisit le préfet du département d’implantation de l’unité qui prononce, par arrêté, la sortie du patient de l’UMD et informe de sa décision le préfet ayant pris l’arrêté initial d’admission dans cette unité ainsi que l’établissement de santé qui avait demandé l’admission du patient (art. R3222-6 du CSP).

La sortie peut être décidée sous forme d’une levée de la mesure de soins sans consentement ou de la poursuite des soins sans consentement soit dans l’établissement de santé où le patient se trouvait lors de la décision d’admission en UMD, soit dans un autre établissement de santé autorisé en psychiatrique.


Les faits

Monsieur D. a été déclaré pénalement irresponsable pour le meurtre en 2004 de deux soignantes au Centre hospitalier de Pau. Il été hospitalisé sur décision du représentant de l’Etat puis admis au sein de l’UMD du centre hospitalier de Cadillac.

Depuis plusieurs années le patient réclamait son transfert dans une unité psychiatrique ordinaire. Ses demandes ont été soutenues par la commission de suivi médical chargée d’apprécier la justification médicale de son maintien en UMD. Les médecins ont estimé que cette mesure n’était plus adaptée à son état de santé et préconisé une prise en charge, toujours en soins sans consentement, en service de psychiatrie ordinaire.

Mais le préfet s’est opposé au transfert au motif que Monsieur D. présentait toujours un risque grave et faisait preuve d’une attitude manipulatrice. Sa violence pouvant ainsi refaire surface avec la consommation de stupéfiants. Face à un risque de rechute, il a préconisé son maintien en UMD.  

La procédure

Face aux refus du Préfet, le patient a demandé au Juge des libertés et de la détention (JLD) de prononcer la mainlevée de son placement en UMD.

En 1ère instance, le juge a reconnu sa propre compétence et fait droit à la demande du patient, au motif que « si le juge judiciaire ne dispose pas de la possibilité de prononcer un transfert car il n’a pas de possibilité de gestion des établissements de santé, il dispose du contrôle de légalité et de sa sanction, la mainlevée » (TJ Bordeaux, ord. 9 juin 2022, n° 22/00978).

Mais la cour d’appel a infirmé ce jugement : « La compétence du juge judiciaire ne peut être qualifiée de générale et absolue » et son contrôle « n’a pas vocation à être exercé pour ce qui concerne les décisions administratives de mainlevée d’une UMD » (CA Bordeaux, 17 juin 2022, n° 22/02802).

Le patient s’est alors tourné vers la juridiction administrative : il a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de sortie de l’UMD pour une poursuite de ses soins psychiatriques sans consentement dans un établissement de santé ordinaire et, d’autre part, à ce qu’injonction soit faite au préfet de la Gironde, sous astreinte, de procéder à la mainlevée de son placement en UMD. Par jugement du 4 avril 2023, le TA de Bordeaux a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de la compétence.


Le Tribunal des conflits

Le Tribunal des conflits est une juridiction composée à parité, de membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Il a pour mission de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif et de prévenir un déni de justice dans le cas de contrariété de décisions définitives rendues, dans le même litige, par une juridiction de chacun des deux ordres. 


La décision

Dans sa décision, le Tribunal des conflits rappelle la compétence du juge judiciaire telle que prévue par le code de la santé publique (art. L3211-12, L3211-12-1 et L3222-5-1) et souligne que la régularité des décisions administratives prises dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement ne peut être contestée que devant le juge judiciaire (art. L3216-1).

Il en conclut que le litige opposant le patient au préfet concernant la sortie de l’UMD et le transfert vers une unité ordinaire ressort de la compétence de la juridiction judiciaire. La cour d’appel de Bordeaux devra donc à nouveau se prononcer sur le cas de Monsieur D.

Ce qu’il faut retenir

Il était temps de clarifier les règles de compétence et de permettre aux patients admis en UMD de bénéficier de réelles garanties juridictionnelles. Le juge judiciaire devra donc dire si un préfet peut maintenir un patient en UMD en l’absence de justification médicale.

La future décision de la cour d’appel de Bordeaux sera très certainement largement commentée et, si elle fait droit à la demande du patient, ne manquera pas de soulever une question délicate : comment appréhender pour les professionnels de santé le retour de Monsieur D. dans une unité psychiatrique dite ordinaire, plus de 18 ans après son transfert en UMD ?