ARTICLE – Transferts d’activités médico-sociales entre collectivités territoriales et établissements médico-sociaux : là où le droit est (presque) absent

Catégorie : Organisation sanitaire et médico-sociale
Date : 17/05/2019

Article paru dans la revue Gestions hospitalières n°586 – mai 2019

Brigitte de Lard-Huchet, directrice du Centre de droit JuriSanté du CNEH

L’exploitation des activités médico-sociales est soumise à un dispositif juridique unique, prévu par le code de l’action sociale et des familles (CASF). En revanche, les structures juridiques qui exploitent de telles activités relèvent de statuts très diversifiés, qui vont du public au privé à but lucratif, en passant par le secteur associatif ou plus généralement privé à but non lucratif.

A minima, on pourrait croire que les structures publiques elles, ont un statut plus homogène. Ce serait ignorer l’exploitation largement pratiquée d’activités médico-sociales par des entités relevant de collectivités locales (et particulièrement des centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, CCAS ou CIAS), et pas seulement des établissements publics médico-sociaux autonomes.

Si l’étanchéité était de mise entre ces différentes catégories d’« organismes gestionnaires », on ne trouverait pas grand-chose à y redire.

La difficulté surgit lorsque de telles structures envisagent entre elles le transfert de leurs activités médico-sociales, et des moyens qui les sous-tendent. Qu’il s’agisse de fusion de plusieurs structures médico-sociales publiques, ou de reprise d’une activité (EHPAD, service de soins infirmiers, résidence autonomie…), le droit ignore presque totalement de telles opérations, pourtant de plus en plus courantes, et laisse les acteurs plutôt désarmés pour aborder un tel projet sur le plan juridique.

Il faut alors s’appuyer sur le droit commun, en espérant qu’il suffise à répondre à toutes les questions.

Choc des réglementations, sans parler du choc des cultures…

  1. Fusions, transferts d’activités… Ce que le droit ignore, la pratique peine à le nommer…

A la première place de notre rapport d’étonnement, le droit des activités médico-sociales ne connaît presque pas ni la fusion, ni le transfert d’activité.

Le droit hospitalier définit la fusion, et l’encadre juridiquement en en déterminant les modalités, la procédure, et les effets juridiques.

Le CASF en revanche, ne fait que mentionner rapidement la fusion, comme une modalité envisageable pour  assurer leur « coordination, leur complémentarité et garantir la continuité des prises en charge et de l’accompagnement » (Art.L.312-7 CASF). La mention de la fusion n’est par ailleurs qu’assez anecdotique[1].

Quant au transfert d’activités entre entités publiques (CCAS, établissement médico-social autonome…), il est régi par la seule disposition (récemment ouverte au secteur public) de l’article L.313-1 CASF :

« L’autorisation ne peut être cédée qu’avec l’accord de l’autorité compétente pour la délivrer, qui s’assure que le cessionnaire pressenti remplit les conditions pour gérer l’établissement, le service ou le lieu de vie et d’accueil dans le respect de l’autorisation préexistante, le cas échéant au regard des conditions dans lesquelles il gère déjà, conformément aux dispositions du présent code, d’autres établissements, services ou lieux de vie et d’accueil ».

Le transfert d’activité s’assimile en une cession de l’autorisation, pour laquelle le droit prévoit seulement l’approbation et le contrôle préalables de l’autorité ayant délivré l’autorisation initiale.

La difficulté tient à ce que les textes ne précisent pas le contenu de l’autorisation de cession. Notamment, le CASF ne prévoit pas que la cession de l’autorisation d’activité s’accompagne d’un transfert automatique (s’agissant au moins des entités publiques) de l’actif et du passif, des droits et obligations, des moyens matériels et humains de cette activité: patrimoine immobilier, matériels et équipements, personnels titulaires et contractuels, contrats, marchés…,

C’est pourtant le cas pour les fusions hospitalières (article L.6141-7-1 du code de la santé publique).

La cession de l’autorisation ne signifie donc pas la cession des moyens d’exploitation de l’autorisation. Dans les transferts entre entités privées, cela peut se comprendre, du fait du principe de la liberté contractuelle. Mais en matière publique, cela complique la donne. D’autant que le juge rechigne à reconnaître une compétence large à l’autorité administrative en la matière. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs jugé récemment que :

« … La cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant qu’en cas de cession d’une autorisation d’exploitation d’un établissement (…), l’entrée en vigueur de l’accord qui doit être donné à cette cession par l’autorité compétente est subordonnée à l’existence d’un contrat entre le précédent titulaire de l’autorisation et le nouveau, de telle sorte que la caducité de ce contrat entraîne nécessairement la caducité de l’accord donné à la cession de l’autorisation d’exploitation, sans rechercher, au vu de l’ensemble des éléments dont elle était saisie, si le projet de cession ayant fait l’objet de l’autorisation en cause gardait son objet. » – CE, 22 octobre 2018, EHPAD Ma Résidence, n°412057

La situation est paradoxale, car l’autorité en charge de la compétence d’autorisation (Agence régionale de Santé – ARS, conseil départemental) exerce un pouvoir de contrôle à l’occasion de la cession, afin de s’assurer que celle-ci s’effectue selon des modalités permettant d’assurer la continuité de l’activité dans des conditions au moins équivalentes. On pourrait ainsi considérer que cette autorité dispose d’un droit de regard sur le transfert des moyens accompagnant la cession de l’autorisation en elle-même.

La pratique de l’administration sanitaire (notamment DGOS et ARS) tend parfois à appliquer, par analogie et en l’absence d’autres dispositions spécifiques, les dispositions de l’article L.6141-7-1 CSP aux rapprochements entre établissements publics sanitaires et médico-sociaux, par exemple pour la reprise par un hôpital d’une activité médico-sociale, notamment pour la problématique des ressources humaines et du transfert de patrimoine On procède alors à une forme de transfert « automatique » des moyens de l’autorisation cédée. Mais cette tendance se limite aux structures autonomes relevant du droit sanitaire et médico-social, et soumis aux mêmes réglementations s’agissant notamment du personnel, à savoir le statut de la fonction publique hospitalière (FPH). La situation se complique lorsque l’autorisation initialement portée par un établissement relevant d’une collectivité territoriale est cédée à un établissement public autonome.

2. Conséquence : une opération de transfert à tiroirs en matière de ressources humaines

Si le transfert des moyens humains et matériels, de l’actif et du passif liés à l’autorisation d’activité cédée n’est pas automatique, les acteurs au projet doivent alors procéder à ce transfert, domaine par domaine, sur la base du droit commun.

C’est alors tout un inventaire digne de Prévert qui s’ouvre :

  • Transfert des emplois des agents titulaires et des contrats de travail, à durée déterminée et indéterminée,
  • Transfert du patrimoine immobilier et mobilier, selon les principes du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P),
  • Transfert des conventions, contrats et marchés inhérents à l’activité transférée, selon les dispositions juridiques applicables à chacun de ces conventions, contrats et marchés,
  • Le cas échéant, refonte (en cas de fusion) ou modification des instances (conseil de la vie sociale notamment) …,

Une des sujets les plus sensibles est celui du transfert des personnels. A défaut de disposition expresse emportant le transfert des emplois et contrats de travail, en même temps que la cession de l’autorisation d’activité, il ne reste qu’à s’appuyer sur les dispositions génériques du statut de la fonction publique.

Curieusement, la situation des contractuels est explicitement et efficacement réglée par les textes. La loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique comporte des dispositions relatives au transfert de personnel en cas de reprise d’activités. Cette loi a en effet introduit un article 14 ter à la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui dispose :

« Lorsque l’activité d’une personne morale de droit public employant des agents non titulaires de droit public est reprise par une autre personne publique dans le cadre d’un service public administratif, cette personne publique propose à ces agents un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires ».

En revanche, pour les titulaires, pas de disposition spécifique. Ne restent alors que les outils du droit commun, et s’agissant de transferts au sein de la fonction publique hospitalière :

  • La mise à disposition (articles 48 et suivants du statut de la FPH) ;
  • Le détachement (articles 51 et suivants) ;
  • Le changement d’établissement, improprement appelé « mutation » (article 32).

Le détachement et le changement d’établissement au sein de la fonction publique hospitalière supposent l’accord de l’agent, ce qui peut constituer une source potentielle de blocage dans ce type de projet, ce que ne connaît pas la fusion hospitalière.

Petite consolation, la mise à disposition en cas de transfert ou de regroupement d’activités impliquant plusieurs établissements relevant du statut de la FPH peut désormais s’effectuer « de plein droit », c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord de l’agent (article 48 du statut).

Plus complexe encore est la situation en cas de transfert d’activité d’une entité territoriale relevant du droit de la fonction publique territoriale – FPT – (par exemple un CCAS) vers une structure relevant du droit de la fonction publique hospitalière (hôpital, EHPAD autonome…).

Cette situation est loin d’être marginale, les autorités de financement et de tutelle incitant aujourd’hui fortement au regroupement d’activités, et les collectivités territoriales n’ayant pas toujours l’expertise et les moyens de continuer à porter ces activités soumises à des contraintes budgétaires de plus en plus fortes et des réglementations de plus en plus pointues.

Mais là encore, le statut de le fonction publique ne facilite pas la tâche aux acteurs.

Le statut de la FPT comporte des dispositifs équivalents à ceux de la FPH :

  • La mise à disposition (Article 61 et suivants de la Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, statut de la FPT) ;
  • Le détachement (Articles 64 et suivants du statut de la FPT) ;
  • Le changement d’établissement, improprement appelé « mutation » (Articles 41, 51, et 54 du statut de la FPT).

On notera à cet égard que, en cas de détachement ou de changement d’établissement, il conviendra d’intégrer l’agent à équivalence de grade ou d’échelon. Si cela n’est pas possible, du fait de dispositions statutaires et grilles indiciaires différentes, l’intégration ou le détachement s’effectueront selon des modalités financièrement favorables à l’agent[2], et potentiellement très lourdes de conséquences pour l’établissement « repreneur ».

Cette absence d’homogénéité entre grilles indiciaires territoriales et hospitalières, à laquelle s’ajoute l’impossibilité, dans la plupart des cas, d’imposer à l’agent son transfert vers l’entité repreneuse de l’activité constituent de véritables freins potentiels à ce type de projet.

Et l’existence effective d’une procédure de suppression longue et complexe d’emplois dans la fonction publique territoriale (ce que ne connaît pas à ce jour la FPH, en l’absence de décret d’application), ne constitue qu’une maigre consolation…

Ces transferts d’activités médico-sociales entre structures publiques, s’ils ne sont pas courants, se présentent toutefois régulièrement. On se prend à espérer une évolution du CASF et du statut de la fonction publique qui permettent à la fois d’avoir des solutions explicites, stables, et pérenne à ces situations. L’absence de textes en la matière peut constituer un frein à cette recomposition de l’offre médico-sociale, régulièrement appelée de ses vœux par les tutelles.

Transfert d’activité médico-sociale entre deux établissements FPHEx. EHPAD autonome è EHPAD autonomeTransfert d’activité médico-sociale d’un établissement FPT vers un établissement FPHEx. SSIAD géré par un CCAS è EHPAD autonome
Transfert d’agents titulaires au sein de la FPH FPH è FPHTransfert d’agents titulaires de la FPT vers la FPH FPT è FPH
Mise à dispositionOUI de plein droitOUI avec l’accord de l’agent
DétachementOUI avec l’accord de l’agentOUI avec l’accord de l’agent
Changement d’établissement (« mutation »)OUI avec l’accord de l’agentOUI avec l’accord de l’agent
Suppression d’emploiInapplicableApplicable
Transfert d’agents contractuels au sein de la FPHFPH è FPHTransfert d’agents contractuels de la FPT vers la FPHFPT è FPH
Proposition de transferts des contrats de travailOUI avec l’accord de l’agentOUI avec l’accord de l’agent

[1] Elle est notamment abordée s’agissant de l’élection du CTE (Art.R.315-32 CASF), ou lorsqu’un groupement de coopération social et médico-sociale (GCSMS) a été créé (Art.R.312-194-21 CASF).

[2] Classement dans le grade dont l’indice sommital est le plus proche de l’indice sommital du grade d’origine et à l’échelon comportant un indice égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui qu’il détenait dans son grade d’origine