NOTES DE JURISPRUDENCE – Mars 2020

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 26/03/2020

CE, 5 février 2020, n°422922 

Synthèse : Seules des circonstances exceptionnelles, de mise en péril de la continuité et de la sécurité des patients, sont à nature de fonder la compétence du directeur d’un centre hospitalier pour prononcer la suspension d’un praticien hospitalier.

Une professeure des universités praticien hospitalier (PU-PH) a fait l’objet d’une décision de suspension de ses fonctions médicales, cliniques et thérapeutiques par le directeur du centre hospitalier universitaire, décision qu’elle conteste. Parallèlement, la PU-PH a aussi fait l’objet d’une décision de suspension,  de ses fonctions d’enseignement et de recherche, par le président de l’université ; ainsi que d’un arrêté conjoint du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la suspendant de ses fonctions universitaires et hospitalières.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le point de savoir si les conditions de compétence d’exception, du directeur du CHU, pour prononcer une décision de suspension d’un praticien hospitalier, étaient réunies.

Le Conseil d’Etat rappelle les modalités applicables à la suspension d’un praticien hospitalier. Par principe, c’est le directeur général de l’agence régionale de santé qui est compétent, en cas d’urgence pour suspendre « le droit d’exercer d’un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave », au terme de l’article L. 4113-14 du code de la santé publique. Fondé sur l’alinéa 4 de l’article L. 6143-7 du CSP, le Conseil d’Etat reprend la création prétorienne consacrée par l’arrêt du 15 décembre 2000, n°194807, Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires, qui admet, par exception au principe légal, que le directeur du CHU puisse prononcer la suspension d’un praticien hospitalier :

  • « dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients »
  • Et « à condition d’en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné »

Le Conseil conclut que, ne constituaient pas une situation exceptionnelle (pas de mise en péril de la continuité du service de médecine légale ou de la sécurité des patients) fondant la compétence du directeur du CHU pour suspendre un praticien hospitalier :

– les faits reprochés à la PU-PH : les faits de harcèlement moral qui ont eu pour conséquence de dégrader le climat de travail, qui a affecté la planification des activités universitaires et le déroulement des enseignements

– les conséquences : faits considérés suffisamment graves et vraisemblables pour justifier son éloignement

– la nature de ses responsabilités : qualité de responsable de l’unité de médecine légale

Une jurisprudence qui illustre une fois encore la mise en œuvre délicate des compétences du directeur fondées sur l’article L. 6143-7 à l’égard des personnels médicaux hospitalier.

CE, 12 février 2020, n°425722 :

Le consentement éclairé du patient est un élément essentiel à tout acte médical, peu importe les connaissances dont il dispose.

CE, 12 février 2020, n°425722 

Une plainte est déposée à l’encontre d’une chirurgienne-dentiste par une patiente suite à un soin dentaire effectué auquel elle n’avait pas consenti. En effet, dans cette affaire, la patient atteste avoir bien consenti à un acte médical spécifique, à savoir la pose d’une couronne dentaire, et non pour la pose d’une couronne de type à incrustation vestibulaire. Aussi et faute d’avoir été informée et consultée sur ce point par le praticien elle saisit la chambre disciplinaire d’Auvergne de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

Sa plainte est rejetée en première instance, aussi la patiente fait appel devant la chambre disciplinaire régionale et se voit à nouveau déboutée. Dernière solution pour faire valoir son droit, elle forme un pourvoir devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le point de savoir si la qualité de la patiente était de nature à pouvoir délier le praticien de ses obligations d’information et de recueil du consentement du patient. Pédagogue, le Conseil rappelle successivement:

  • Le principe général du droit à l’information de la personne prise en charge, article L. 1111-2 du code de la santé publique: « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposées, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences (…) » ;
  • Le principe général du droit au consentement de la personne prise en charge, article L. 1111-4 du code de la santé publique « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment (…) »;
  • Les conséquences de ces deux principes dans la pratique de la chirurgien-dentiste en question soumise à la déontologie de sa profession, article R. 4127-236 du code de la santé publique « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherchée dans tous les cas, dans les conditions définies aux articles L. 1111-2 et suivants. / Lorsque le patient, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le chirurgien-dentiste doit respecter ce refus après l’avoir informé de ses conséquences (…) »

Le Conseil d’Etat conclue qu’en tout état de cause, que la qualité d’un patient ne délie jamais le praticien de ses obligations, peu importe qu’il ait des connaissances en la matière : « La circonstance qu’un patient détienne des connaissances en la matière ne saurait dispenser le chirurgien-dentiste de satisfaire à son obligation de l’informer, par un entretien individuel, de manière loyale, claire et appropriée sur son état de santé et les soins et traitements qu’il propose. ». En l’espèce, la patiente était présidente d’une association ayant pour objet d’aider les personnes défavorisées à s’appareiller en prothèses dentaires. De même, le fait que le coup et la prise en charge par l’assurance maladie du dispositif posé soient identiques à celui ayant fait l’objet du consentement de la patiente ne peut être avancé pour justifier l’absence de faute du praticien et le rejet de la plainte par la chambre régionale.

Conformément à sa jurisprudence constante[1], le Conseil rappelle que l’information délivrée doit être « loyale, claire et appropriée » et que le consentement du patient est essentiel à la réalisation de l’acte.

Cette jurisprudence est particulièrement intéressante car elle repositionne une nouvelle fois les droits du patient (information et consentement notamment) comme un des fondements de la légalité des actes médicaux tel qu’édictés par l’article 16-3 du code civil[2].

Le CE rappelle, une fois de plus son exigence  à l’égard des professionnels de santé sur ce point et se porte, par conséquent, garant du respect des droits des usagers.

[1] CE, 24 septembre 2012, M., n° 336223 : « Hors les cas d’urgence ou d’impossibilité de consentir, la réalisation d’une intervention à laquelle le patient n’a pas consenti oblige l’établissement responsable à réparer tant le préjudice moral subi de ce fait par l’intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageable de l’intervention ».

[2] Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.

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