Note de jurisprudence -Traditions carabines des internes et atteinte à la dignité (à propos de l’ordonnance du Tribunal administratif de Toulouse du 7 décembre 2021, n° 2106928)

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 22/12/2021

Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH

Le Tribunal administratif de TOULOUSE a rendu un intéressant jugement[1] relatif à l’installation, dans le réfectoire des internes du CHU de TOULOUSE (site Purpan) d’une fresque de 2 mètres sur 4 représentant de façon obscène des hommes et des femmes se livrant à des actes sexuels dans des situations jugées humiliantes.

La qualification pornographique de l’œuvre est d’entrée posée par les magistrats.

Le tribunal juge surtout qu’une telle représentation dans le réfectoire qui se trouve dans les locaux du service public, lequel réfectoire, s’il n’est pas ouvert au public, est ouvert aux internes, porte ouvertement et objectivement une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine de la femme et au demeurant à celle de l’homme. La représentation de personnes physiques travaillant manifestement au sein du CHU, qui ont certes donné leur consentement à l’exploitation de leur image caricaturée, ne saurait en aucune façon selon le juge retirer aux fresques en litige leur caractère attentatoire à la dignité humaine, alors qu’en tout état de cause, il ne résulte de l’instruction ni que les praticiens hospitaliers concernés seraient réellement représentés sur ces fresques, ni que ne figureraient pas sur ces fresques d’autres personnes que les six professionnels concernés.

L’arrêt pourrait sembler anecdotique. Il nous paraît néanmoins notable en ce qu’il touche aux traditions dites carabines des étudiants et internes en médecine amenés à intervenir dans les établissements publics de santé. Ces traditions prennent ici la forme d’une fresque, mais peuvent se traduire par bien d’autres manifestations ancrées dans un certain folklore des études de médecine. Le juge, sans répondre à un éventuel argument de liberté d’expression, décide de fonder sa décision sur la notion de dignité humaine, considérée dans la forme la plus absolue, faisant ainsi fi à la fois du consentement des personnes caricaturées, et du caractère non ouvert au public du réfectoire abritant la fresque. Comme le résume un auteur « la tradition ne justifie pas l’irrespect » (Mathieu Touzeil-Divina, Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 51-52, 20 Décembre 2021, act. 756).

Cette affaire offre des ramifications vers d’autres notions : neutralité du service public, mais également obligation de réserve des internes en leur qualité d’agents publics, et ouverture ainsi à une éventuelle voie disciplinaire en cas de comportement estudiantins incompatibles avec le service public… De quoi alerter les responsables d’établissements hospitaliers accueillant des internes, et constatant parfois des pratiques de moins en moins tolérées.


[1] TA Toulouse, ord., 7 déc. 2021, n° 2106928 , Syndicat Sud Santé sociaux Haute-Garonne 31 : JurisData n° 2021-020006