Note de jurisprudence – La nécessaire analyse in concreto pour qualifier la faute d’un établissement public de santé mentale dans la surveillance d’un patient (à propos de la décision du Conseil d’Etat du 29 septembre 2021, n°43627)

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 13/10/2021

Aude Charbonnel, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Les faits 

En novembre 2009, un patient, hospitalisé au sein d’un établissement public de santé mentale (EPSM), a violemment agressé un autre patient. A la suite de cette agression, la victime est demeurée dans un état végétatif jusqu’à son décès, survenu en 2017.

Le patient, auteur de l’agression, s’était vu diagnostiquer en 2002, alors qu’il était âgé de 16 ans, une schizophrénie hébéphréno-catatonique générant des conduites agressives. Après une première hospitalisation suivie d’une rechute, il avait été à nouveau hospitalisé au début de l’année 2009 au sein d’un service de psychiatrie générale d’un centre hospitalier relevant d’un EPSM. Son état de santé s’étant cependant amélioré à partir de septembre 2009, il avait bénéficié de permissions de sortie dans sa famille. Sa violente altercation, en novembre 2009, avec un autre patient, s’est déroulée au retour d’un séjour dans sa famille, alors qu’il se trouvait en salle de détente avec plusieurs autres patients, hors de la présence du personnel soignant.

La décision 

La cour administrative d’appel (CAA) a jugé que les conditions dans lesquelles était survenue l’agression du patient révélaient une faute dans l’organisation du service hospitalier.

Elle s’est fondée :

  • d’une part, sur le fait que l’auteur de l’agression était atteint d’une pathologie l’exposant à des accès de violence et que de tels actes s’étaient produits à plusieurs reprises au cours des sept mois précédents ;
  • et, d’autre part, sur la circonstance, que les troubles comportementaux dont souffraient respectivement les deux patients présentaient une incompatibilité spécifique, qui faisait courir un risque de principe que des violences surviennent en cas de mise en présence de ces deux patients.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle, dans un premier temps, que « pour établir l’existence d’une faute dans l’organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d’un patient atteint d’une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l’état de santé de ce patient fait courir le risque qu’il commette un acte agressif à son égard ou à l’égard d’autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d’un tel passage à l’acte, mais également du régime d’hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait ».

Puis, dans un second temps, la Haute juridiction souligne qu’en se fondant sur ces seuls éléments pour caractériser l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’EPSM, la CAA a inexactement qualifié les faits de l’espèce.

En effet, il ressortait également des pièces du dossier qui lui était soumis :

  • que le comportement du patient s’était, à la date des faits, stabilisé depuis plus de deux mois, ses permissions de sortie n’ayant donné lieu à aucun incident ;
  • et que la décision de ne pas confiner l’intéressé dans sa chambre à son retour de permission avait été prise, après administration d’un traitement et placement préalable en observation, dans le respect d’un protocole médical prévu pour sa pathologie et propre à une unité de soin intensifs dont la petite taille et l’organisation permettent une intervention rapide en cas de difficulté. Il est précisé que le personnel de l’hôpital est d’ailleurs intervenu très rapidement après l’agression.

Dès lors, le Conseil d’Etat conclut que l’EPSM est fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt de la CAA.

Conclusion

Il est ici rappelé aux juges du fond la nécessaire prise en compte in concreto de tous les éléments pour qualifier une faute du service public hospitalier dans la surveillance d’un patient. En l’espèce au moment de l’agression, rien ne permettait de prévoir ce passage à l’acte, l’établissement de santé ne peut donc voir sa responsabilité pour faute engagée. Et n’oublions pas que l’obligation de surveillance mise à la charge des établissements de santé mentale demeure une obligation de moyens!


Lien vers la décision: https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000044153724?init=true&page=1&query=432627&searchField=ALL&tab_selection=all