Note – L’accès aux origines personnelles n’est jamais un droit absolu… un rappel du Conseil d’État! (CE, 16 octobre 2019, n°420230)

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 27/04/2020

Par Anne-Sophie Ovide, juriste, apprentie du centre de droit JuriSanté du CNEH

Créé par la loi du 22 janvier 2002, le Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) est un organisme public permettant, dans certaines conditions, aux personnes abandonnées ou nées sous le secret d’accéder à leurs origines personnelles. Selon son Rapport d’activité  pour l’année 2018 paru le 19 août 2019, le CNAOP a, depuis sa création et à ce jour, permis à 2 843 personnes nées dans le secret d’accéder à l’identité d’au moins un des parents sur 10 085 demandes complètes enregistrées[1]. Ces chiffres dépeignent en réalité un obstacle majeur auquel doivent faire face les demandeurs… le consentement à la levée du secret par leur parent de naissance. Le Conseil d’État est venu rappeler les limites nécessaires aux attributions du CNAOP.

Les faits : Adoptée, une femme saisit le CNAOP en vue d’accéder à l’identité de ses parents biologiques. Toutefois, aucune suite favorable n’est donnée à sa requête, le CNAOP refusant de lui communiquer l’identité de sa mère biologique. L’affaire arrive finalement au Conseil d’État après que le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et que la cour administrative d’appel de Paris aient successivement refusé d’annuler ladite décision du CNAOP.

Le grief principal de la requérante tient à une supposée contrariété de certaines dispositions du code de l’action sociale et des familles (CASF), organisant la possibilité de levée du secret de l’identité de la mère de naissance, à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cet arrêt a donc le mérite de rappeler les modalités d’accès aux origines personnelles dans le cadre d’une demande formulée auprès du CNAOP, organisme aux attributions peu ou mal connues. De plus, l’arrêt met aussi inéluctablement en lumière les limites pratiques de l’accès aux origines.

Dans quelles mesures est-il possible d’accéder à ses origines personnelles ?

Pédagogue, le Conseil d’État a rappelé les différentes étapes auxquelles doit se conformer une personne en quête de ses origines personnelles :

  • Toute demande d’accès aux origines personnelles relève de la compétence du CNAOP : article L. 147-1 CASF.
  • Pour ce faire, la demande doit être formulée notamment par l’ « enfant » devenu majeur qui souhaite accéder à ses origines personnelles : article L. 147-2 1° CASF ; le conseil doit aussi recevoir la déclaration de la mère ou, le cas échéant, du père de naissance par laquelle chacun d’entre eux autorise la levée du secret de sa propre identité : article L. 147-2 2° CASF.
  • Pour que la demande soit satisfaite, il faut, entre autre, que le CNAOP recueille « copie des éléments relatifs à l’identité de la femme qui a demandé le secret de son identité » : article L. 147-5 1° CASF.
  • L’identité de la mère pourra alors être communiquée par le conseil, sous réserve de s’être assuré que le demandeur maintienne sa demande, notamment « s’il n’y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté » : article L. 147-6 CASF.

Ainsi, il ressort de ces textes que le consentement du parent à la levée du secret est, in fine, une des conditions sine qua none à l’accès aux origines personnelles.

Que retenir de cet arrêt ?

Le Conseil d’État s’est tenu aux textes et hypothèses légalement instituées. Dans le cas d’espèce, la mère biologique avait expressément renouvelé sa volonté de taire son identité en réponse à la demande de levée du secret formulée. C’est donc conformément aux textes, notamment à l’article L. 147-6 CASF, que le refus du CNAOP a été adressé à la requérante.

Cette décision pourrait questionner tant elle semble davantage freiner l’accès aux origines personnelles qu’elle ne la facilite. Cet arrêt met davantage en lumière le CNAOP en tant qu’organisme au service de la protection des parents qui ont sollicité le secret, notamment en sollicitant leur accord pour lever le secret de leur identité à la suite d’une demande d’accès aux origines de l’ « enfant ». Ce constat met donc nécessairement et véritablement en balance les deux intérêts ambivalents  que sont, ceux des personnes qui souhaitent accéder à leurs origines et ceux des parents qui ont initialement souhaité le secret.

Le refus opposé concernant une demande d’accès aux origines personnelles constitue-t-il une atteinte à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme ?

Dans cette affaire, la requérante considérait que les dispositions précitées tirées du CASF, et leurs incidences, étaient contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale.

À priori, son fondement semble légitime. Pourquoi ? En droit de l’Union Européenne, il s’agit d’un droit revêtant d’une importance significative mais à géométrie variable.

Selon le Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit au respect de la vie privée et familiale en date du 31 août 2019, le droit au respect de la vie privée et familiale doit être entendu comme protégeant, entre autre, le droit à l’épanouissement de la personne[2]. Cette extension a été consacrée de longue date par la cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Mikulic c./ Croatie[3]. Le guide poursuit en précisant qu’à ce titre, « l’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs, ses origines, ou des éléments de son enfance et de ses années de formation, contribuent à l’épanouissement personnel »[4]. Il s’agit là encore d’une extension de la notion de vie privée opérée par la cour européenne liant droit au respect de la vie privée et droit de connaître l’identité de ses parents de naissance, consacrée en 2003 dans l’arrêt Odièvre c./ France[5].

Aussi, ce dernier arrêt est intéressant dans la mesure où il témoigne du glissement législatif français en matière d’accès aux origines personnelles. En effet, la législation française alors en vigueur au moment des faits ne permettait pas de lever le secret formulé par la mère à la naissance. Le droit de connaître ses origines personnelles n’était donc pas garanti. C’est en cours de procédure qu’est adoptée la loi du 22 janvier 2002 suscitée, permettant ainsi au droit français d’être en conformité avec le droit de l’Union européenne… en tout cas sur le principe.

Le Conseil d’État a donc repris le raisonnement et la position du juge de l’Union dans l’arrêt Odièvre c./ France. En ces termes, il considère que les dispositions du CASF sont compatibles avec l’article 8 de la Convention dans la mesure où la réversibilité du secret est légalement instituée. Ainsi le secret consenti par la mère à la naissance n’est jamais absolu et irréversible. Cette réversibilité permet dès lors de rechercher comme l’énonce le Conseil d’État, comme la cour européenne avant lui, un « équilibre entre le respect dû au droit à l’anonymat garanti à la mère lorsqu’elle a accouché et le souhait légitime de l’enfant né dans ces conditions de connaître ses origines ».

À la question posée «Le refus opposé concernant une demande d’accès aux origines personnelles constitue-t-il une atteinte à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme ? », la réponse du Conseil d’État est claire : non, dans la mesure où la réversibilité du secret est légalement prévue bien qu’il persiste un véritable point de tension entre les intérêts des « enfants » et des parents de naissance.

Force est cependant de constater que la législation française semble davantage servir les parents de naissance sur lesquels pèsent le dénouement de la demande d’accès aux origines personnelles. Cet arrêt en est la plus récente illustration et interroge sur la véritable prise en compte de l’intérêt du demandeur, qui, bien que fort de garanties posées par la cour européenne, est souvent freiné dans sa quête. En effet, les chiffres évoquées à titre introductif dépeignent singulièrement ce fossé entre la théorie européenne et la réalité nationale. La solution retenue par le Conseil d’État est très prudente.

La demande de la requérante est rejetée.

[1] Rapport d’activité 2018, Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles, 31/08/2019

[2]Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit au respect de la vie privée et familiale, point 66, page 20/138

[3] CEDH, Mikulic c./ Croatie, 7 février 2002, Req. ° 53176/99

[4] Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit au respect de la vie privée et familiale, point 173, page 44/137

[5] Arrêt Odièvre c. France du 13 février 2003 , Req.° 42326/98

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