Article – Le don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche, le nouveau cadre juridique

Catégorie : Droits des patients, exercice professionnel, responsabilité
Date : 07/11/2022

Aude Charbonnel, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 619 – octobre 2022

Le don du corps est indispensable pour l’enseignement de l’anatomie, l’apprentissage et l’amélioration des pratiques chirurgicales ainsi que pour la recherche. Chaque année, 2 500 à 3 500 corps sont donnés aux 27 centres de don du corps en France [1]. Le plus grand d’entre eux, « le temple de l’anatomie française », créé en 1953 et rattaché à l’université Paris-Descartes, fait l’objet d’une information judiciaire ouverte en juillet 2020 par le pôle de santé publique du parquet de Paris pour « atteinte à l’intégrité d’un cadavre portant sur les conditions de conservation et de mise à disposition des corps ». C’est une enquête du journal L’Express qui a révélé que les corps y étaient conservés au mépris de toute dignité, certains étant en outre utilisés à des fins lucratives. À la suite de ce scandale, le gouvernement s’était engagé à légiférer. Le don du corps est désormais encadré par la loi de bioéthique adoptée en août 2021 [2] et le décret n°2022-719 du 27 avril 2022 [3].

Un cadre juridique dans le code de la santé publique

En France, le don du corps a longtemps été encadré par des dispositions éparses, relativement parcellaires avec, comme texte législatif de référence, la loi de 1887 sur la liberté des funérailles, « dont le lien avec l’acte même de don est difficile à établir [4] ».

Le scandale du charnier de Paris-Descartes a souligné la nécessité de poser un cadre législatif pour le don du corps dans le code de la santé publique (CSP), situation qui n’était régie jusqu’en 2021 que par un article de la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales (art. R. 2213-13 du CGCT).

En effet, contrairement au don d’organes, de moelle osseuse ou de tissu, qui dispose depuis de nombreuses années d’un corpus juridique, nourri par les travaux sur la bioéthique, la procédure du don du corps à la science ne faisait l’objet que d’une réglementation succincte qui ne permettait pas une harmonisation du fonctionnement et des moyens des centres de don sur l’ensemble du territoire.

L’affirmation du respect du corps humain lors des activités d’enseignement médical et de recherche

Le respect du corps humain est un principe fondamental dans notre société et l’article 16-1-1 du code civil créé par la loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire prévoit que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Dans son rapport sur le don du corps à des fins d’enseignement médical et de recherche de juin 2021, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) précise que « cette obligation doit trouver sa traduction dans la manière dont le corps est transporté, accueilli, conservé dans l’établissement qui l’a reçu, puis manipulé, regardé, utilisé à des fins d’enseignement et de recherche et enfin repris pour les funérailles. Le respect s’impose aussi au regard des volontés exprimées par le défunt (par exemple sur la question de l’information de sa famille, de la crémation, de la restitution des cendres […]) [5] »

Désormais, il est inscrit à l’alinéa 4 de l’article L. 1261-1 du CSP que « les établissements de santé, de formation ou de recherche s’engagent à apporter respect et dignité aux corps qui leur sont confiés ». Cette mention vise donc à garantir l’application pratique de ce principe fondamental par les centres du don du corps.

Le rappel des principes fondamentaux du don du corps : consentement, gratuité et anonymat

Le consentement est essentiel dans la démarche du don de corps. L’article L. 1261-1 du CSP prévoit que « le consentement du donneur est exprimé par écrit » et l’article R. 1261-1 du même code précise les conditions et les modalités de recueil de ce consentement. Ainsi, après avoir reçu un document d’information, la personne consent au don de son corps par une déclaration écrite en entier, datée et signée de sa main et dont le modèle est fixé par arrêté ministériel. Ce consentement est révocable à tout moment. La déclaration est ensuite cosignée par le responsable de la structure d’accueil des corps qui, d’une part accepte le don, et d’autre part s’engage à respecter la volonté du donneur, s’agissant de la restitution de son corps ou de ses cendres. L’établissement remet au donneur une copie de cette déclaration et lui délivre une carte de donneur, que ce dernier s’engage à porter en permanence. Le donneur est encouragé à informer sa famille ou ses proches de sa démarche de don. Il peut désigner une personne référente qui sera l’interlocuteur de l’établissement. La nouvelle réglementation prévoit ainsi d’associer l’entourage du donneur dès le début de la démarche de don de corps à la science, tout en respectant la volonté du donneur.

Il est rappelé dans la nouvelle réglementation que le don du corps est effectué à titre gratuit : aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, ne peut être alloué à la personne qui consent au don de son corps après son décès auprès d’un établissement autorisé. De même, aucune somme d’argent ne peut lui être demandée par l’établissement (art. R. 1261-1 V du CSP).

Enfin, des précisions sont apportées concernant l’anonymat du don : un numéro identifiant est attribué afin de garantir la confidentialité de l’identité du donneur pendant la durée des activités d’enseignement médical et de recherche. Ce numéro constitue l’unique moyen d’identifier le corps pour la durée de son utilisation (art. R. 1261-4 du CSP).

Une clarification importante concernant les frais de transport

Auparavant, aucun régime particulier n’était prévu concernant les frais de transport du corps, du lieu du décès vers la faculté. Dans un rapport sur l’organisation des centres de don du corps (CDC) à la science de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) publié en 2018, il est souligné que « la quasi-totalité des centres demandent au donateur ou à la famille la prise en charge des frais de transport du corps jusqu’au CDC et que la gratuité totale à partir du lieu du décès est l’exception [6]».

Il est désormais inscrit à l’article R. 1261-3 du CSP que « les frais afférents à l’acheminement du corps sont intégralement pris en charge par l’établissement ayant recueilli le consentement ».

Des précisions sur les opérations funéraires qui répondent aux demandes des donneurs, de leurs familles et leurs proches

Auparavant, une fois les activités d’enseignement médical et de recherche achevées, la majorité des corps étaient incinérés anonymement. Les familles et les proches du donneur n’étaient pas informés de la date de l’incinération et ils ne pouvaient obtenir la restitution des cendres. Par ailleurs, certains centres faisaient participer les donateurs aux frais de crémation, contrairement à ce qui était prévu par la réglementation. L’article R. 1261-5 du CSP clarifie la conduite à tenir par ces centres.

Ainsi, en dehors de cas particuliers, les activités d’enseignement médical et de recherche organisées au sein de la structure d’accueil des corps de l’établissement autorisé doivent être réalisées dans un délai maximal de deux ans suivant l’accueil du corps dans l’établissement. Par principe, les personnels de la structure d’accueil des corps assurent la meilleure restauration possible du corps avant que l’établissement ne procède aux opérations funéraires ou à la restitution du corps ou des cendres (art. R. 1261-6 du CSP). Enfin, l’établissement détermine le type d’opération funéraire le plus adapté en fonction de la nature de l’activité pratiquée sur le corps. Il tient compte de la préférence exprimée par le donneur lors de son consentement au don et, le cas échéant, de la demande exprimée par la personne référente qu’il a désignée, par sa famille ou ses proches (art. R. 1261-7 du CSP). Toutefois, lorsque le donneur s’est opposé à une telle restitution, l’établissement en informe la personne référente, la famille ou les proches, auteurs d’une demande de restitution. Il est procédé dans les meilleurs délais à la crémation ou à l’inhumation du corps du donneur selon le type d’opération funéraire retenu par l’établissement (art. R. 1261-8 du CSP).

Le décret prévoit que l’établissement organise chaque année une cérémonie du souvenir en hommage aux donneurs, à laquelle peuvent participer les personnes référentes désignées par les donneurs, leurs familles ou leurs proches, à la condition que les donneurs ne s’y soient pas opposés en consentant au don. Ces derniers sont alors informés dans un délai raisonnable de la date et du lieu de la cérémonie (art. R. 1261-9 du CSP).

Une harmonisation des conditions d’autorisation et de fonctionnement des structures d’accueil des corps au sein des établissements autorisés

L’activité liée aux dons du corps implique une organisation très stricte des centres et de leurs procédures. Tout établissement de formation et de recherche ou de santé qui assure l’accueil de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche doit être titulaire d’une autorisation délivrée pour cinq ans, renouvelable, par les ministres qui en assurent la tutelle (art. R. 1261-25 et -28 du CSP). L’établissement autorisé doit être en mesure de fournir à tout moment à l’autorité administrative :

  • le nombre de corps reçus chaque année,
  • les activités d’enseignement médical et projets de recherche entrepris,
  • le nombre et la nature des consultations des instances éthiques,
  • les mouvements de personnels,
  • les actions de formation mises en place auprès des personnels.

L’autorité qui a délivré l’autorisation peut, en outre, demander à tout moment à l’établissement des informations lui permettant de s’assurer que les activités sont bien poursuivies dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur (art. R. 1261-30 du CSP). En cas d’infraction aux dispositions législatives et réglementaires applicables, constatée par les corps de contrôle ou l’inspection générale dont relève l’établissement ou toute autre autorité, l’autorisation peut être suspendue ou retirée par décision des ministres de tutelle de l’établissement (art. R. 1261-33 du CSP).

La structure d’accueil des corps est dirigée par un responsable : lorsque la structure d’accueil des corps est créée dans un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, son responsable appartient à l’un des corps d’enseignants-chercheurs et lorsque la structure d’accueil des corps est créée dans un établissement de santé, le responsable est désigné parmi les personnels enseignants et hospitaliers. Il est assisté par un comité d’éthique, scientifique et pédagogique (art. R. 1261-15 du CSP), dont les membres apprécient l’intérêt pédagogique et scientifique du programme ou du projet, la pertinence de recourir au corps donné à des fins d’enseignement médical et de recherche et, le cas échéant, la pertinence de la demande de sortie temporaire du corps ou du recours à sa segmentation (art. R. 1261-18 du CSP).

Conclusion

Le don du corps est désormais encadré par la loi de bioéthique, au même titre que les dons d’éléments ou produits du corps humain. Des arrêtés seront prochainement publiés au Journal officiel. Ils auront notamment pour objet de créer le document d’information et des modèles de document (déclaration, carte…).


[1] Selon le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur l’organisation des centres de don du corps à la science publié en juillet 2018, les dons effectifs intervenus en 2017 s’élèvent
à environ 3 400 corps.

[2] Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

[3] Décret n°2022-719 du 27 avril 2022 relatif au don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche.

[4] CCNE, « Le don du corps à des fins d’enseignement médical et de recherche », rapport du groupe de travail constitué à la demande du ministre des Solidarités et de la Santé et de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 1er juin 2021.

[5] Ibid.

[6] B. Bétant, M.-C. Beer, « L’organisation des centres de don du corps à la science », rapport n°82, juillet 2018.