ARTICLE – Parlementaire au conseil de surveillance d’un hôpital : membre oui, vice-président non ! De la subtilité de l’incompatibilité…

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 25/07/2018

Aude Charbonnel, juriste consultante au Centre de droit Jurisanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières – juin/juillet 2018, n°577, pp. 414-416

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 12 avril 2018[1] sur la possibilité de concilier un mandat parlementaire avec une fonction au sein du conseil de surveillance d’un établissement public de santé. Suite aux élections sénatoriales qui ont lieu en France en septembre 2017 pour renouveler la moitié des membres de la chambre haute du Parlement, le président du Sénat a saisi le conseil constitutionnel. La question était de savoir si trois sénateurs, membres de conseils de surveillance d’établissements publics de santé, se trouvaient dans une situation d’incompatibilité au regard du code électoral. La réponse des Sages a été différente selon que le parlementaire siégeait en tant que membre ou en tant que vice-président. Ils ont ainsi déclaré compatibles les fonctions de membre exercées par deux sénatrices avec leur mandat mais pas celles du sénateur vice-président du conseil de surveillance.

Parlementaires et incompatibilité

Élu pour représenter la Nation, le parlementaire participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement. A ce titre, son indépendance et sa liberté d’expression, nécessaires à l’exercice de son mandat, doivent être garanties. Cela passe par un statut protecteur, consacré par le principe des immunités parlementaires qui trouve son fondement dans la Constitution elle-même, mais également par diverses obligations et interdictions dont l’incompatibilité. L’incompatibilité se définit comme l’impossibilité légale de cumuler certaines fonctions avec le mandat parlementaire. Elle impose donc un choix à l’élu.

Les bureaux de l’Assemblée nationale ou du Sénat sont chargés d’examiner si les activités professionnelles ou d’intérêt général ou les participations financières mentionnées par les députés et sénateurs dans la déclaration d’intérêts et d’activités, sont compatibles avec le mandat parlementaire. S’il y a doute sur la compatibilité des fonctions ou activités exercées ou des participations détenues, les bureaux de l’Assemblée nationale ou du Sénat, le ministre de la justice, ou le député lui-même saisissent le Conseil constitutionnel (art. LO151-2 du code électoral).

Conseil de surveillance

Le conseil de surveillance se prononce sur la stratégie d’un établissement de santé et exerce le contrôle permanent de sa gestion (art. L.6143-1 du CSP). Il comprend trois catégories de membres : des représentants des collectivités territoriales, des représentants du personnel et des personnes qualifiées. Le président du conseil de surveillance est élu pour une durée de cinq ans parmi les membres représentant les collectivités territoriales ou les personnalités qualifiées (art. R.6143-5 du CSP). Le président du conseil de surveillance désigne, parmi les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ou les personnalités qualifiées, un vice-président, qui préside le conseil de surveillance en son absence (art. R6143-6 du CSP).

Analyse du Conseil constitutionnel

L’article LO145[2] du code électoral dispose que sont incompatibles avec le mandat de député (ou sénateur) les fonctions de président, de directeur général et de directeur général adjoint exercées dans les entreprises nationales et établissements publics nationaux, c’est-à-dire des organismes dépendant étroitement de la puissance publique. Sauf si le député (ou le sénateur) y est désigné en cette qualité, sont également incompatibles avec le mandat de député (ou de sénateur) les fonctions de membre de conseil d’administration exercées dans les entreprises nationales et établissements publics nationaux. Afin de se prononcer sur une incompatibilité éventuelle pour chacun des trois sénateurs concernés, le Conseil constitutionnel articule son analyse autour de trois axes.

  1. Un établissement public de santé a le caractère d’un établissement public national

Aux termes de l’article L.6141-1 du code de la santé publique, « les établissements publics de santé sont des personnes morales de droit public dotées de l’autonomie administrative et financière. Ils sont soumis au contrôle de l’État (…) ». Dès lors, un centre hospitalier a le caractère d’un établissement public national et entre donc dans le champ d’application de l’article LO145 du code électoral.

  1. Il n’y pas lieu d’assimiler les fonctions de membre de conseil de surveillance d’un établissement public de santé à celles de membre de conseil d’administration

L’article L.6143-1 du code de la santé publique prévoit que le conseil de surveillance se prononce sur la stratégie et exerce le contrôle permanent de la gestion de l’établissement. A ce titre, le Conseil constitutionnel considère que les membres de tels conseils n’exercent pas des fonctions équivalentes à celles des membres de conseil d’administration. Il n’y a donc pas lieu d’assimiler les fonctions de membre de conseil de surveillance d’un établissement public de santé à celles de membre de conseil d’administration au sens et pour l’application de l’article LO145 du code électoral.

Les fonctions de membre du conseil de surveillance d’un centre hospitalier sont donc compatibles avec un mandat de député ou sénateur.

Pour rappel, la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a transformé le conseil d’administration en conseil de surveillance, et créé le directoire. Pour un meilleur pilotage de l’établissement public de santé, le conseil de surveillance s’est vu reconnaître une indépendance au regard des actes de gestion relevant du directeur, conseillé par le directoire. Les attributions du conseil de surveillance ont été recentrées sur la définition d’orientations stratégiques et surtout sur une mission de contrôle de l’ensemble de l’activité de l’établissement.

  1. Les fonctions de vice-président du conseil de surveillance d’un établissement public de santé sont assimilables à celles de président

En faisant référence aux fonctions de président exercées dans les établissements publics nationaux, l’article LO145 du code électoral vise le président des organes délibérants de ces établissements, quelle que soit la dénomination susceptible d’être attribuée à de tels organes par les textes instituant les établissements publics en cause.

L’article L.6141-1 du code de la santé publique prévoit que « Les établissements publics de santé sont dotés d’un conseil de surveillance et dirigés par un directeur assisté d’un directoire ». Aux termes de l’article R.6143-6 de ce même code, « Le président du conseil de surveillance désigne, parmi les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ou les personnalités qualifiées, un vice-président, qui préside le conseil de surveillance en son absence ». Dès lors, le Conseil constitutionnel conclut que les fonctions de vice-président du conseil de surveillance d’un établissement public de santé sont assimilables à celles de président au sens de l’article LO145 du code électoral. Les fonctions de vice-président du conseil de surveillance d’un centre hospitalier sont donc incompatibles avec un mandat de député ou sénateur.

Conclusion

Si le Conseil constitutionnel décide que le parlementaire est en situation d’incompatibilité, ce dernier doit régulariser sa situation au plus tard le trentième jour qui suit la notification de la décision du Conseil constitutionnel. A défaut, le conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d’office de son mandat (art. LO151-2 du code électoral). Pour information, le sénateur concerné a privilégié son mandat et quitté la vice-présidence du conseil de surveillance.

Au-delà de la question de l’incompatibilité parlementaire, ces décisions du Conseil constitutionnel rappellent que les attributions des membres du conseil de surveillance des hôpitaux sont loin d’être anodines et que ces derniers doivent être vigilants à toute forme de conflit d’intérêts.

Dans un hôpital, du fait des personnes qui sont amenées à exercer leurs activités et de la nature desdites activités, les situations à risque de conflit d’intérêts sont nombreuses. On pense d’emblée au médecin, pourtant c’est bien tout professionnel de la structure mais aussi toute personne qui participe aux instances (tel que le conseil de surveillance) qui se doit d’être transparent sur l’ensemble des liens d’intérêts qu’il pourrait entretenir, notamment avec les fournisseurs et les financeurs. Il est nécessaire de s’assurer que ses choix ne sont pas influencés et qu’il ne se trouve pas dans une situation de dépendance. Il en va de l’image d’exemplarité de l’établissement public de santé.

La loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a défini le conflit d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Cette définition a, notamment, été reprise par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui a, par ailleurs, créé le référent déontologue dans la fonction publique[3]. Les fonctionnaires peuvent donc consulter ce référent qui est chargé de leur apporter tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques.

Avant l’adoption de la loi relative à la déontologie des fonctionnaire, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) avait mené une réflexion globale sur la prévention des conflits d’intérêts et publié un guide « Les conflits d’intérêts au sein de l’AP-HP, Mieux les connaitre mieux les prévenir », en mars 2016. Parmi ses recommandations : la mise en place de déclarations d’intérêts, sur la base du volontariat, pour un grand nombre de responsables et les membres du conseil de surveillance.

La déclaration d’intérêts constitue le moyen privilégié d’amener les professionnels, les élus et les personnalités qualifiées qui participent aux instances à s’interroger sur les intérêts qu’ils détiennent et sur leur influence éventuelle sur les décisions qu’ils sont amenés à prendre. Par ailleurs, les fonctionnaires et agents contractuels de droit public dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifie doivent transmettre une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leur situation patrimoniale au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique afin de prévenir tout enrichissement anormal.

Ainsi compte tenu des missions du conseil de surveillance, il est indispensable au-delà d’une incompatibilité parlementaire dont le risque est marginal, de s’assurer que ses membres n’ont pas de conflit d’intérêts. A titre d’exemple, l’article L6143-1 du code de la santé publique prévoit que le conseil de surveillance délibère sur « toute convention intervenant entre l’établissement public de santé et l’un des membres de son directoire ou de son conseil de surveillance ».

Les effets directs de la récente position du Conseil Constitutionnel sont, on l’a vu, limités à une personne sur l’ensemble des conseils de surveillance hospitaliers. La décision n’en est pas pour autant anecdotique. Elle s’inscrit dans un mouvement plus global d’encadrement des mandats électifs, dont ceux en œuvre à l’hôpital, lorsque ceux-ci sont susceptibles d’être exercés dans un contexte de conflit d’intérêts. La vigilance est donc de mise…

[1] Décisions n°2018-34 I, n°2018-35 I, n°2018-36 I

[2] L’article L.O. 145 du code électoral est applicable aux sénateurs en vertu de l’article L.O. 297 du même code

[3] Article 28 bis de la loi n°2016-483 du 20 avril 2016, Décret n°2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique, Note d’information N°DGOS/RH4/DGCS/4B/2017/227  du 13 juillet   2017 relative aux obligations déclaratives déontologiques et aux cumuls d’activités dans la fonction publique hospitalière