Article – Infirmier/ère de pratique avancée aux urgences : Une opportunité ?

Catégorie : Organisation sanitaire et médico-sociale
Date : 03/01/2022

Brigitte de Lard-Huchet, Directrice du centre de droit JuriSanté, CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°611 – décembre 2021

La pratique avancée infirmière franchit un nouveau cap. Avec le décret du 25 octobre 2021 [1] s’ouvre la possibilité d’un exercice infirmier avancé dans le domaine des urgences. Les lignes de démarcation des compétences respectives des professionnels de santé continuent donc de bouger, dans un secteur d’activité particulièrement réglementé. Cette évolution réglementaire était attendue dans le domaine des urgences, mais elle contraste avec les textes déjà en place de pratique avancée. Le point sur le nouveau dispositif.

Une opportunité

Les textes sont au complet. La pratique avancée est opérationnelle et effective depuis plusieurs années. L’année universitaire 2020-2021 a d’ailleurs vu les différentes promotions universitaires du diplôme de pratique avancée accueillir 1 342 étudiants [2]. La dynamique a donc été amorcée, dans les quatre domaines jusqu’ici reconnus par la loi :

  1. Pathologies chroniques stabilisées ; prévention et polypathologies courantes en soins primaires (liste réglementaire de pathologies chroniques),
  2. Oncologie et hémato-oncologie,
  3. Maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale,
  4. Psychiatrie et santé mentale.

Le décret du 25 octobre 2021 et son arrêté d’application du même jour viennent élargir les domaines de mise en oeuvre, en y inscrivant les urgences, à la condition que cette activité soit exercée par un établissement de santé disposant d’une autorisation d’activité de soins de médecine d’urgence. Les urgences constituent dont un cinquième et nouveau domaine d’exercice de la pratique avancée infirmière, lié à une cinquième mention spécialisée du diplôme. La condition d’expérience minimale de trois ans s’impose également, encore que, dans la pratique, les professionnels s’accordent à considérer que cette durée est insuffisante et que l’accès à la pratique avancée doit être réservé à des professionnels beaucoup plus aguerris, en particulier dans le domaine où ils entendent exercer.

Comme pour les autres domaines de pratique avancée, l’infirmier de pratique avancée (IPA) aux urgences interviendra dans le cadre d’un protocole, qui précise :

  1. Le ou les domaines d’intervention concernés ;
  2. Les modalités de prise en charge par l’IPA des patients ;
  3. Les modalités et la régularité des échanges d’information entre le médecin et l’IPA ;
  4. Les modalités et la régularité des réunions de concertation pluriprofessionnelle destinées à échanger sur la prise en charge des patients concernés ;
  5. Les conditions de retour du patient vers le médecin ;
  6. Les modalités de la coordination par un médecin de la prise en charge individuelle des patients.

Dans le respect de ces conditions de diplôme et d’organisation interne par le biais d’un protocole, l’exercice en pratique avancée ouvrira à l’IPA aux urgences la possibilité de déroger aux strictes règles de compétence qui s’imposent à l’infirmier, selon le périmètre défini aux articles R. 4311-1 à R. 4311-15-2 du code de la santé publique (CSP) qui listent les actes professionnels ouverts aux infirmiers.

Des questionnements

Pour autant, les modalités réglementaires de mise en oeuvre de la pratique avancée aux urgences diffèrent sensiblement de celles qui président aux autres domaines d’intervention. L’arrêté du 18 juillet 2018 [3] liste les actes, produits de santé que l’IPA peut solliciter, prescrire ou réaliser (annexes 1 à 5). Mais la pratique avancée aux urgences bénéficie d’un cadre d’intervention qui lui est spécifique, construit sur la base d’une liste de motifs de recours et/ou de situations cliniques qui peuvent se présenter aux urgences.

Ainsi, l’article R. 4301-3-1 CSP, propre aux IPA aux urgences, distingue :

  • les motifs de recours et les situations cliniques les plus graves ou complexes, définis par arrêté, pour lesquels l’IPA « participe à la prise en charge » des patients. Dans ce domaine, la conduite diagnostique et les choix thérapeutiques appartiennent au médecin et sont mis en oeuvre par l’IPA. Cette première modalité peut trouver à s’appliquer par exemple, selon l’arrêté du 25 octobre 2021 (4) pour les douleurs thoraciques/syndromes coronariens aigus (SCA), les brûlures graves, les intoxications médicamenteuses et non médicamenteuses… L’IPA est dans ce cas dans une posture de « participant à la prise en charge », terme similaire à celui utilisé pour les actes de la « catégorie 3 » du décret de compétences infirmier [5] ;
  • les motifs de recours et les situations cliniques présentant un moindre degré de gravité ou de complexité, également définis par arrêté, pour lesquels l’IPA est compétent pour prendre en charge le patient et établir des conclusions cliniques, dès lors qu’un médecin de la structure des urgences intervient au cours de la prise en charge [6]. Le champ d’intervention d’IPA déroge alors aux règles de droit commun des IDE, en ce qu’il n’est pas réglementairement limité dans les gestes et actes qui lui sont ouverts. L’IPA dispose dans ce second cas d’une autonomie de décision et d’action réglementairement reconnue et très large. Quels motifs de recours et pathologies peuvent être concernés ? Citons par exemple la hernie, masse ou distension abdominale sans signe de gravité, l’hypertension artérielle sans signes fonctionnels, les céphalées ou migraines inhabituelles…

C’est donc un nouveau modèle de répartition des compétences qui est assigné aux IPA exerçant aux urgences, différent de celui existant pour les autres domaines d’intervention de la pratique avancée infirmière.

La répartition réglementaire des motifs de recours et des situations cliniques est-elle exhaustive et exempte de toute difficulté d’interprétation ? De même, comment se répartira concrètement la responsabilité d’exercice entre médecin et IPA ? Seuls des professionnels experts de la médecine d’urgence pourraient nous répondre.

Mais, surtout, c’est la question de la marge de manoeuvre effectivement laissée à l’IPA dans les actes à accomplir qui est posée, et non résolue par les textes. Pour les « motifs de recours et situations cliniques les plus graves ou complexes », l’IPA « participe à la prise en charge » du patient, mais on suppose qu’il le fait néanmoins de façon plus large qu’un infirmier n’exerçant pas en pratique avancée. Dès lors, jusqu’où peut-il aller ? Plus encore que dans les quatre autres domaines de pratique avancée, le protocole organisationnel interne à l’établissement sera déterminant pour clairement identifier les limites d’intervention de l’IPA en termes de prescriptions, demandes d’actes ou d’examens, gestes techniques…

Autre point qui restera à préciser : quelle articulation fera-t-on, d’un point de vue organisationnel et pratique, avec les missions d’infirmier d’accueil et d’organisation (IAO) de la prise en charge, exigé par les conditions techniques réglementaires applicables aux urgences ? Cet infirmier met en oeuvre, d’après l’article D. 6124-18 CSP, « par délégation du médecin présent dans la structure, les protocoles d’orientation et coordonne la prise en charge du patient, le cas échéant jusqu’à l’hospitalisation de ce dernier ». Les rôles de ces deux intervenants sont-ils clairement distincts ou des chevauchements sont-ils à craindre ? Comment articuler en tous les cas ces deux fonctions ?

Comment d’ailleurs positionner ce nouveau métier d’IPA dans un service d’urgence ? Quelle place a-t-il vocation à prendre, aux côtés des médecins urgentistes d’une part, des infirmiers d’autre part ?

On le voit, plus encore que pour les autres domaines d’intervention de la pratique avancée infirmière, l’IPA aux urgences sera, pour une grande partie de son contenu et de ses modalités d’exercice, ce que les établissements et leurs services d’urgences en feront.

Une boîte à outils qui s’enrichit

Parallèlement au déploiement progressif de la pratique infirmière avancée, les protocoles de coopération gagnent à bas bruit du terrain, y compris dans les services d’urgence hospitaliers.

Rappelons que le dispositif s’est considérablement simplifié au cours des années, pour permettre à des professionnels de santé, en dérogation à leurs règles professionnelles de compétence, « d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de prévention ou réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient » (art. L.4011-1 CSP).

Désormais, les acteurs de santé, et notamment les établissements de santé, ont le choix entre :

  • l’élaboration et la mise en oeuvre de protocoles expérimentaux locaux de coopération, sur décision du directeur de l’établissement déclarés à l’agence régionale de santé (ARS) et transmis pour information à la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi qu’au Comité national des coopérations interprofessionnelles (CNCI) Ces protocoles locaux doivent satisfaire à des exigences essentielles de qualité et de sécurité réglementaires ;
  • surtout, l’adhésion à des protocoles de coopération nationaux : l’établissement de santé peut alors déclarer à l’ARS compétente, via une application en ligne dédiée, la mise en oeuvre sous sa responsabilité d’un tel protocole par ses professionnels.

À ce jour, sur les quarante protocoles nationaux en place, trois concernent plus particulièrement les services d’urgence :

  • évaluation du bilan radiologique requis et sa demande anticipée par l’infirmier ou l’infirmière organisateur de l’accueil (IOA), en lieu et place du médecin, pour les patients se présentant avec un traumatisme de membre dans un service d’urgences ;
  • réalisation de sutures de plaies simples par un infirmier en lieu et place d’un médecin ;
  • réalisation d’échoguidage pour la ponction veineuse ou pose de voie veineuse périphérique au niveau du membre supérieur ou pour la ponction radiale artérielle par un/e infirmier/ère en lieu et place d’un médecin dans l’ensemble des services de médecine/chirurgie/obstétrique (MCO), notamment en structure d’urgence.

Ce sont là des avancées organisationnelles intéressantes pour lesquelles le droit, soit ouvre de nouvelles possibilités d’organisation des soins, soit permet de reconnaître et d’encadrer de façon juridiquement sécurisée des pratiques qui ont déjà commencé à se déployer de façon non réglementaire. Les protocoles de coopération ont certes un périmètre d’action beaucoup plus limité que la pratique avancée infirmière. Ils nous paraissent néanmoins participer de la même dynamique, en ouvrant de nouvelles pistes pour l’organisation des soins aux urgences, à l’initiative des établissements et des professionnels. Certes pas une solution à l’immense problématique de la démographie médicale et aux difficultés de recrutement aux urgences, mais des champs de réflexion nouveaux et qui nous semblent pertinents à investir.

Le périmètre d’intervention de l’IPA aux urgences


[1] Décret n° 2021-1384 du 25 octobre 2021 relatif à l’exercice en pratique avancée de la profession d’infirmiers, dans le domaine d’intervention des urgences, JO du 26 octobre 2021.

[2] Comité de suivi DGOS de la pratique avancée, 3 mars 2021, cité par APM, dépêche du 5 mars 2021.

[3] Arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l’exercice infirmier en pratique avancée en application de l’article R. 4301-3 du code de la santé publique.

[4] Arrêté du 25 octobre 2021 fixant la liste des motifs de recours et des situations cliniques mentionnés à l’article R. 4301-3-1 du code de la santé publique, JO du 27 octobre 2021

[5] Art. R.4311-10 CSP : « L’infirmier ou l’infirmière participe à la mise en oeuvre par le médecin des techniques suivantes :
• 1° Première injection
d’une série d’allergènes ;
• 2° Premier sondage vésical chez
l’homme en cas de rétention ;
• 3° Enregistrement
d’électrocardiogrammes et
d’électroencéphalogrammes avec
épreuves d’effort ou emploi de
médicaments modificateurs… »

[6] Sans que le texte précise à quel moment de la prise en charge intervient le médecin, ni selon quelles modalités.