Article – Loi Valletoux et permanence des soins en établissement de santé, une arlésienne ?

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 06/02/2024

Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°632 – janvier 2024

La permanence des soins, un serpent de mer ? Disons plutôt une préoccupation plus que récurrente pour les équipes hospitalières, confrontées à des difficultés désormais quotidiennes pour maintenir à flot une continuité des prises en charge, de l’accueil, des organisations médicales et soignantes. La crise de la démographie médicale et paramédicale impacte directement cette dimension de la vie hospitalière, qui n’est que la traduction du principe de continuité qui régit le service public, hospitalier notamment. La loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite « loi Valletoux » [1], introduit un certain nombre de dispositions relatives notamment aux soins de premier recours, à l’exercice libéral, aux conseils territoriaux de santé, aux médecins à diplôme étranger, aux groupements hospitaliers de territoire (GHT), à la réforme des autorisations… bref, une loi plutôt fourre-tout. Mais elle contient également des dispositions relatives à la permanence des soins en établissement de santé (PDSES). Le législateur aurait-il identifié la solution miraculeuse ?

Des principes nouveaux ?

L’article L.6111-1-3 du Code de la santé publique (CSP) disposait déjà que les établissements de santé peuvent être appelés par le directeur général de l’agence régionale de santé (DG ARS) à assurer en tout ou partie la permanence des soins. L’article 17 de la loi Valletoux remplace cette disposition par une nouvelle, sensiblement plus offensive de prime abord : « Les établissements de santé sont responsables collectivement de la permanence des soins en établissement dans le cadre de la mise en œuvre du schéma régional de santé et de l’organisation territoriale de la permanence des soins. Le directeur général de l’agence régionale de santé assure la cohérence de l’organisation de la permanence des soins […] au regard des impératifs de continuité, de qualité et de sécurité des soins. »

Premier enseignement à la lecture de ces dispositions nouvelles : la PDSES n’est pas optionnelle, comme aurait pu le laisser penser l’ancien texte (cela dit, qui, en pratique, aurait pu le considérer comme tel ?).

Second enseignement, et sans doute le plus intéressant, la PDSES est désormais posée par la loi comme une responsabilité collective des établissements de santé, et ce quels que soient leur statut (public ou privé) et leur positionnement en termes d’offre de soins sur le territoire (établissement de proximité, de référence, de recours, disposant d’un plateau technique et d’activités restreint ou élargi).


Symboliquement (et politiquement), l’idée est forte. La notion de permanence de l’accueil et de la prise en charge était jusqu’à présent considérée comme le propre des seuls établissements de santé assurant le service public hospitalier, à savoir les établissements publics de santé, les hôpitaux des armées, les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et, à la marge, d’autres établissements de santé habilités (art.L.6112-3 CSP) [2]. Il s’agit là de l’un des piliers du service public hospitalier, posé explicitement par le CSP. Est-ce à dire que les établissements privés à but lucratif ne sont pas concernés ?

Une procédure inédite ?

On pourrait voir un intérêt à la procédure légale qu’introduit l’article L.6111-3 CSP pour remédier aux « trous dans la raquette » de la PDSES.


Cette procédure se décompose en deux temps :

  • si le DGARS constate des carences dans la couverture des besoins du territoire s’agissant de la permanence des soins, il réunit les différents établissements de santé et les représentants des professionnels de santé exerçant en leur sein, les invite à répondre aux nécessités d’organisation collective de la permanence des soins et recueille leurs observations. Ce premier degré d’intervention est plutôt incitatif et basé sur une recherche de consensus territorial entre les acteurs ;
  • en cas de carences persistantes, le DGARS peut désigner les établissements de santé chargés d’assurer la permanence des soins ou d’y contribuer. Les professionnels de santé exerçant au sein des établissements de santé désignés participent à la mise en œuvre de cette mission. Cette précision est pertinente car elle pourrait viser notamment les professionnels médicaux libéraux exerçant en établissement de santé privé et liés par un contrat d’exercice ne prévoyant pas toujours d’engagement du praticien sur la permanence des soins à l’égard de la clinique dans laquelle il intervient. La loi pose ici que les professionnels sont engagés au même titre que les établissements dans lesquels ils exercent lorsque ceux-ci sont désignés par l’ARS.

Notons d’ailleurs que le texte admet en creux que les professionnels de santé « liés » à un établissement pour leur exercice puissent être engagés à aller assurer la PDS dans un autre établissement de santé : « Lorsque les professionnels de santé exerçant au sein d’un établissement de santé décident de contribuer à la mission de permanence des soins assurée par un autre établissement que celui au sein duquel ils exercent, leur activité à ce titre est couverte par le régime de la responsabilité qui s’applique aux médecins et aux agents de l’établissement d’accueil. »

Une façon finalement de dire deux choses :

  • la PDS est à la fois une affaire d’organisations et d’institutions d’une part, de professionnels de santé « individualités »d’autre part ;
  • la PDSES ne doit pas se jouer en tuyaux d’orgue : si la ressource médicale de l’établissement A permet de répondre aux besoins de PDS de l’établissement B, cette ressource doit être agile et mobilisable. Mais l’enthousiasme reste modéré face à ce nouveau texte, sur lequel certaines agences régionales de santé fondent de grands espoirs. Remarquons que ni la responsabilité collective posée par la loi, ni la prérogative reconnue au DGARS pour remédier aux carences territoriales de la PDSES ne sont assorties d’une sanction, juridique, administrative, ou pécuniaire… Et ce n’est sans doute pas le décret attendu devant préciser les modalités d’application de ce texte qui devrait régler cette question.

Finalement, ce texte n’est-il pas plus politique, voire symbolique, que vraiment coercitif ? Il est en tout cas d’application immédiate « nonobstant toute clause contractuelle contraire », seconde pichenette adressée aux professionnels libéraux sous contrat d’exercice avec des cliniques privées ?

Il existait déjà des textes…

La réforme des autorisations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds (EML) qui sera mise en œuvre en 2024 et 2025 sera certainement l’occasion, sous l’empire de nouveaux schémas régionaux de santé (SRS), de reposer globalement la question de la PDSES, activité par activité, à l’échelle des territoires et des zones de répartition des activités de soins (art.L.1434-9 CSP).
On peut regretter parfois l’énergie déployée à produire de nouveaux textes, là où des outils juridiques existaient déjà.

D’abord, l’article R.6111-41 CSP prévoyait déjà, avant la loi Valletoux, que le DGARS arrête, dans le cadre du schéma régional de santé, un volet dédié à l’organisation de la permanence des soins qui évalue les besoins de la population et fixe des objectifs en nombre d’implantations par spécialité médicale et par modalité d’organisation. La PDSES est donc inhérente de longue date à l’activité d’un établissement de santé. En creusant un peu, on perçoit déjà que la disposition réglementaire donnait un caractère contraignant à un principe pourtant timidement posé par la loi, dans la mesure où le volet PDSES du schéma régional de santé « est opposable » selon l’article R.6111-41 CSP.

Opposable oui, mais à qui ? C’est le plus intéressant : le texte pose l’opposabilité du volet PDSES du schéma régional de santé aux « établissements de santé et aux autres titulaires d’autorisations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds », sans distinction de statut juridique. Autrement dit, la PDSES s’impose à tous les établissements de santé, publics, privés, à but lucratif ou non lucratif.

Et ce n’est pas tout. Il existe une disposition du droit des autorisations qui permet d’enfoncer encore un peu plus le clou de la PDSES via la procédure d’octroi de l’autorisation d’activité de soins ou d’équipement matériel lourd. L’article L.6122-7 CSP disposait déjà que l’autorisation peut être assortie de conditions particulières imposées dans l’intérêt de la santé publique et notamment être subordonnée à l’engagement de mettre en œuvre des mesures de coopération favorisant l’utilisation commune de moyens et la permanence des soins. Finalement, une autorisation d’activité accordée sous forme de « deal » et assortie d’une condition pouvant porter sur la mise en œuvre d’une coopération sur la PDS. Voilà un levier d’action intéressant à la disposition des ARS. Sur le terrain, cet outil reste malheureusement utilisé de façon bien parcimonieuse par les agences…

La loi Valletoux lui donne certes une nouvelle visibilité, en le complétant de la façon suivante : « L’autorisation peut être assortie de conditions particulières imposées dans l’intérêt de la santé publique et de l’organisation de la permanence des soins […]. Elle peut également être subordonnée à la mise en œuvre de mesures de coopération favorisant l’utilisation commune de moyens et l’effectivité de la permanence des soins. »


Le terme « effectivité » introduit par la loi de décembre laisse songeur : la permanence des soins peut-elle être autrement qu’effective ? Quelle est la plus-value juridique d’un tel terme ? Qu’est-ce qu’une permanence des soins non effective ? L’outil existe, avoir reformulé son cadre juridique lui donnera-t-il plus d’efficacité ? Pas sûr, tant l’utilisation de prérogatives coercitives par l’ARS, en particulier à l’égard des établissements de santé privés, relève aussi d’une volonté politique forte.


Des dispositions finalement peu révolutionnaires ? Disons que là où le ministère n’a pas rencontré le succès escompté par la voie réglementaire, le législateur espère être plus convaincant…

Notes

[1] Journal officiel, 30 décembre 2023

[2] Article L.6112-2 CSP













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