BILLET D’HUMEUR – Les points d’accueil pour soins immédiats, la nouvelle enseigne à la croix orange?

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 20/11/2019

Par Anne-Sophie Ovide, juriste, apprentie du centre de droit JuriSanté du CNEH

La signalétique médicale est fortement ancrée dans la société. La perception d’une croix verte est intuitivement synonyme de la présence d’une pharmacie; il en est de même, pour la croix rouge qui indique la présence d’un service d’urgences. Désormais, une troisième croix, cette fois-ci orange, pourrait faire son apparition, celle des Points d’Accueil pour Soins Immédiats (PASI).

Le 11 septembre 2019, la Présidence de l’Assemblée nationale a enregistré une proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de PASI. Cette proposition est d’autant plus intéressante qu’elle s’insère dans une logique de désengorgement des urgences. Sur désignation du gouvernement le député Thomas Mesnier et le professeur Pierre Carli, ont rendu un rapport fin décembre 2019 établissant des recommandations afin d’améliorer la prise en charge des patients aux urgences. Ces deux logiques ne seraient-elles pas complémentaires ?

En tout état de cause, cette proposition arrive à point nommé, forte du constat fait que ni les urgences, la médecine de ville ne sont à même de répondre à certains besoins de la population. D’une part, du fait de la lenteur de la prise en charge aux urgences, ou encore au vu des horaires « stricts » appliqués en médecine de ville, qui ne concordent pas nécessairement avec les disponibilités d’un salarié. Les chiffres de la Cour des comptes permettent de corroborer ce constat. En effet, en 2017, 3,6 millions de passages aux urgences ont été considérés comme « inutiles », et consécutifs au manque de flexibilité de la médecine de ville.

L’idée est donc de véritablement retracer la frontière entre affections engageant le pronostic vital ou fonctionnel et les autres, et ainsi permettre au patient de savoir où s’orienter : respectivement, aux urgences, ou dans un PASI au sein des établissements publics ou privés de santé (hôpital de proximité, cliniques, centre santé, etc.). Ainsi, « l’accueil pour soins immédiats » viendrait enrichir l’article L. 6112-1 du code de la santé publique qui définit les missions du service public hospitalier.

Fruit d’une expérimentation en région Auvergne-Rhône-Alpes, cette proposition portée par Monsieur Cyrille Isaac-Sibille, secrétaire de la commission des affaires sociales établit et définit la cadre dans lequel seraient prodigués ces soins immédiats ; ce qui impliquerait la création d’un nouvel article spécifique dans le code de la santé publique.

  • L’expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes – une première en Europe ?

Dans le rapport remis le 20 novembre 2019 à l’Assemblée nationale, Monsieur Isaac-Sibille dresse le bilan de cette expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes.

Une convention conclue entre l’ARS de la région et une clinique a permis que soient accueillis des patients nécessitant des soins non programmés sans rendez vous. Pour ce faire, l’unité était ouverte de 9h à 19h-22h du lundi au samedi. Trois types de consultations étaient possibles : des urgences traumatologiques (plaies etc.), consultations d’ordre médical (médecine générale, douleur abdominale, etc.) ou d’ordre chirurgical.

L’accueil au PASI était cependant réservé à quatre types de patients définis : ceux adressés par un médecin traitant, un médecin spécialiste ou sur les conseils du 15, ainsi que ceux ayant pris un contact téléphonique préalable avec la structure.

En réalité, cette expérimentation n’a rien d’isolé. Au Danemark et aux Pays-Bas, des dispositifs qui pourraient s’y apparenter existent.

Dans un article en date du 27 mai 2019, APMnews présentait l’organisation des soins au Danemark.

Les médecins généralistes ont un rôle central et sont beaucoup plus en proie à coopérer avec les hôpitaux. Un numéro spécial a été mis en place pour les situations où le pronostic vital n’est pas engagé, dans l’hypothèse où le médecin généraliste est indisponible. Le patient doit obligatoirement passer par ce numéro avant de se rendre aux urgences.

Il est à noter qu’au Danemark, la pratique de la télémédecine est à un stade bien plus avancé qu’en France. Ainsi, une description exhaustive de la part du patient ou encore le recours aux vidéos peuvent permettre d’établir un diagnostic. Dans 2% des appels seulement, la situation est véritablement inquiétante. Dans les 98% restants, s’il ressort que le patient nécessite un suivi, un message est envoyé à son médecin généraliste ou alors, le suivi est organisé par les équipes infirmières de la municipalité.

Le(s) + du Danemark : une pratique développée de la télémédecine

Aux Pays-Bas, la médecine de ville est organisée dans des cabinets collectifs, ce qui laisse  la place à l’aléa « urgence en pleine journée » puisqu’un seul cabinet regroupe plusieurs médecins généralistes. Au delà des horaires d’ouverture (20h généralement), un numéro d’un poste de nuit tenu par des médecins généralistes au sein d’un hôpital est disponible.

Le patient est fortement dissuadé de s’y rendre avant d’avoir appelé le numéro, puisqu’il s’expose à la facturation d’une consultation à 139 euros. Le but de ce numéro est bel et bien de permettre un filtrage et une meilleure orientation du patient qui est conseillé par une infirmière. Si une consultation est reconnue nécessaire, le patient peut soit s’y rendre, soit autoriser un praticien à venir à son domicile.

Toujours dans cette même démarche dissuasive, les Pays-Bas ont fixé un tarif de 385 euros lors de la première visite chaque année à l’hôpital.

Le(s) + des Pays-Bas : Les consultations téléphoniques reconnues et remboursées par leur Sécurité Sociale.

Quoiqu’il en soit, plusieurs étapes doivent être franchies pour y aboutir en France, notamment réussir à supprimer la concurrence entre hôpital et médecine de ville selon Frédéric Valletoux, président de la FHF. Pour l’heure, la proposition de loi s’attèle à dresser les contours souhaités des PASI en France :

  • Les 4 points caractéristiques des soins immédiats pratiqués en PASI

L’état de santé du patient :

  • N’engage pas le pronostic vital ou fonctionnel du patient.
  • Demande des réponses immédiates, du type plaies, fractures etc.
  • Nécessite un plateau technique minimum (imagerie, biologie, petite chirurgie). Il est précisé qu’il pourrait être possible d’avoir recours à la télé-expertise.
  • Ne nécessite pas d’hospitalisation.
  • La mobilisation de la médecine de ville et la labélisation des PASI

Concernant les médecins généralistes, l’objectif est de réussir à les réunir « autour d’une communauté pluri professionnelle de santé et des projets de santé ». Sont ciblés des médecins volontaires, exerçant sur un même territoire et ne disposant pas des outils nécessaires pour prodiguer lesdits soins immédiats au sein de leurs cabinets.

En outre, un processus de labélisation PASI serait mis en place, impliquant le directeur général de l’ARS concernée et les structures qui souhaiteraient abriter un PASI. Pour cela, un cahier des charges est prévu afin de déterminer notamment quelles conditions doivent remplir les structures ou encore, les horaires d’ouverture. Il est par ailleurs proposé que soit actée l’interdiction des dépassements d’honoraires en PASI ainsi que la mise en œuvre obligatoire du tiers payant, comme conditions sine qua non de labélisation.

La question des PASI reste encore en suspens. Adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale, avec un certain nombre d’amendements, le 28 novembre 2019,  la proposition de loi a été transmise au Sénat ce même jour. Un dossier législatif à suivre…!

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