ARTICLE – Réforme des pharmacies à usage intérieur : il était temps !

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 09/07/2019

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n°587, juin-juillet 2019

Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH

Enfin, la réforme du droit des pharmacies à usage intérieur (PUI) est aboutie ! Plus de deux ans qu’était attendu le décret d’application de la réforme, qui devait modifier la partie réglementaire du code de la santé publique (CSP) relative aux pharmacies à usage intérieur. Pauvres pharmaciens hospitaliers, tiraillés entre un impératif de rigueur dans le respect des normes et le flou (artistique à défaut d’être juridique) qu’entretenait le retard de publication de ce décret…

Le décret n° 2019-489 du 21 mai 2019 relatif aux pharmacies à usage intérieur (JO du 23 mai 2019) vient donc compléter l’ordonnance n° 2016-1729 du 15 décembre 2016 prise en application de l’article 204 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. En bref, il s’agit, pour les pharmacies à usage intérieur, du dernier acte d’une évolution annoncée par la précédente réforme de santé. Notons que l’ordonnance n’a pour l’heure que portée réglementaire, et attend, pour acquérir valeur légale, l’intervention de la loi de ratification, prévue par le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, actuellement en cours de débat devant le Parlement.

Et sur le fond, que retenir de cette réforme pour les établissements de santé ? Il est vrai que le droit des PUI n’était pas réputé pour sa souplesse et sa facilité de mise en œuvre. Entre les notions de site géographique, les problématiques de qualification du pharmacien, et le sacro-saint principe selon lequel la PUI ne peut répondre aux besoins que du seul établissement où elle est installée, principe assorti de dérogations de plus en plus nombreuses, … le droit était devenu non seulement rigide, mais quasiment illisible.

Quel dommage, dans ces conditions, que le nouveau texte opère le plus souvent par renvoi d’une disposition à une autre, manquant une fois à un impératif d’accessibilité et de simplicité.

Petite sélection, néanmoins, des évolutions les plus marquantes du texte…

  1. Un assouplissement de la condition d’implantation géographique.

Désormais, une PUI peut être autorisée à disposer de locaux implantés sur plusieurs emplacements distincts dépendants d’un ou plusieurs établissements, services ou organismes à condition que soient garanties la qualité et la sécurité de la réponse aux besoins pharmaceutiques des personnes prises en charge (Art.R.5126-12 CSP). La notion d’unicité de PUI par site géographique rendait parfois insolubles certaines problématiques soulevées par des coopérations, ou des restructurations mises en œuvre dans les établissements.

Gageons que cette simple évolution rédactionnelle va simplifier certaines situations de terrain devenues inextricables et tout simplement illégales, à défaut de pouvoir valablement être régularisées.

  1. Une nouvelle structuration des missions

Le code de la santé publique revoit la structuration des missions confiées aux PUI. Il est vrai que les anciennes dispositions contenaient plusieurs listes de missions et/ou activités, au détriment d’une certaine clarté. L’ordonnance a listé les missions de base que doivent exercer celles-ci. Elle a également identifié les missions « complémentaires » que peut exercer une PUI, telles que par exemple, la délivrance de produits à des médecins investigateurs dans le cadre d’essais cliniques. Le décret modifie quant à lui la liste des missions pour laquelle la PUI est tenue de disposer d’une autorisation mentionnant expressément cette ou ces activités ou délivrée tacitement à la suite d’une demande mentionnant expressément cette ou ces activités (Art.R.5126-9 CSP).

La nouveauté à retenir  porte sur la soumission d’un certain nombre de ces activités, dont la préparation des médicaments radiopharmaceutiques, de médicaments expérimentaux et la préparation des dispositifs médicaux stériles, à l’octroi d’une autorisation d’une durée de 5 ans (art.R.5126-33 CSP). C’est là l’un des changements les plus notables induits par la réforme. En posant le principe d’une durée d’autorisation limitée pour ces activités considérées comme « comportant des risques particuliers » (sans que le texte ne décrive cette notion de risques), le pouvoir réglementaire introduit un possible réexamen des autorisations délivrées, et, pourquoi pas, une logique de restructuration de l’offre territoriale hospitalière sur ces activités qui ne se justifient pas dans toutes les PUI. La durée de cinq ans, si elle ne correspond plus à la durée de principe des autorisations d’activités de soins (désormais de 7 ans) laisse à penser que les cartes de la répartition de ces activités, qui induisent un certain degré de spécialisation pourraient donc être rebattues prochainement.

C’est en tous les cas ce que craignent un certain nombre de pharmaciens hospitaliers, inquiets du possible refus de l’ARS de maintenir dans leurs PUI certaines activités jugées non viables ou non sécurisées.

  1. Un cadre juridique pour la pharmacie clinique

L’ordonnance de décembre 2015 avait introduit explicitement, nouveauté importante, la pharmacie clinique comme mission de principe que doivent être en mesure d’exercer toutes les PUI. Le nouvel article R. 5126-10 CSP apporte une définition légale et matérielle de cette activité, à travers cinq catégories d’actes :

  • 1°L’expertise pharmaceutique clinique des prescriptions faisant intervenir des médicaments, produits ou objets relevant du monopole des pharmaciens (article L. 4211-1 CSP) ainsi que des dispositifs médicaux stériles aux fins d’assurer le suivi thérapeutique des patients;
  • 2° La réalisation de bilans de médication;
  • 3° L’élaboration de plans pharmaceutiques personnalisés en collaboration avec les autres membres de l’équipe de soins, le patient, et, le cas échéant, son entourage;
  • 4° Les entretiens pharmaceutiques et les autres actions d’éducation thérapeutique auprès des patients;
  • 5° L’élaboration de la stratégie thérapeutique permettant d’assurer la pertinence et l’efficience des prescriptions et d’améliorer l’administration des médicaments.

A l’exception de l’expertise pharmaceutique, ces actions peuvent s’exercer dans le cadre de l’équipe de soins mentionnée à l’article L. 1110-12 CSP.

Notons que, dans le cadre du développement des coopérations, fortement promu par l’ordonnance, la pharmacie à usage intérieur peut assurer pour son propre compte ou dans le cadre de coopérations pour le compte d’autres pharmacies à usage intérieur tout ou partie des missions de pharmacie clinique, d’information et de prévention.

La reconnaissance légale de cette mission de pharmacie clinique était attendue par les professionnels de la pharmacie hospitalière. Elle vient conforter, dans un grand nombre d’établissements, les démarches déjà engagées par les professionnels, en lien avec l’éducation thérapeutique, l’analyse des prescriptions, la gestion du risque d’interaction, la conciliation médicamenteuse, matière sur laquelle la Haute Autorité de Santé (HAS) a récemment publié des recommandations[1]… Le prochain référentiel de certification devrait d’ailleurs intégrer ces notions de conciliation thérapeutique et d’analyse pharmaceutique.

Reste l’inquiétude des professionnels, qui devront amplifier, ou à défaut déployer cette activité, à moyens constants, et sans temps dédié supplémentaire prévu par les textes. Rappelons qu’en ajoutant la pharmacie clinique à la liste des missions de la PUI, la loi élargit par voie de conséquences le périmètre de responsabilité du pharmacien gérant.

  1. L’intégration de la dimension coopérative

Les dispositions réglementaires tirent désormais largement les conséquences de la possibilité ouverte par la loi de mettre en place des coopérations entre PUI, ou entre établissements de santé, pour l’activité de dispensation des médicaments.

L’article L.5126-1-II CSP pose un principe général de coopération sur les missions obligatoires des PUI.

S’y s’ajoute, via l’article L.5126-2 CSP, une obligation de coopération via le GHT et l’obligation de mettre en place un projet « d’organisation en commun » des activités de pharmacie. Parmi les ouvertures permises par ces nouveaux textes, on mentionnera, en particulier, la possibilité, au sein d’un GHT, pour une pharmacie à usage intérieur de répondre aux besoins pharmaceutiques des personnes prises en charge par les établissements parties au groupement ne disposant pas d’une PUI (art.L.5126-2 CSP), possibilité qui n’est pas sans soulever de questionnement au regard du droit de la concurrence et de la commande publique.

Nonobstant, l’article R.5126-9-II CSP vient compléter ces dispositions en indiquant qu’« une pharmacie à usage intérieur peut être autorisée à assurer exclusivement l’approvisionnement des autres pharmacies à usage intérieur d’un même établissement ou des établissements parties, associés ou membres d’un même groupement [hospitalier de territoire] ».

L’article R.5126-9-III précise que la PUI peut, dans ces deux cadres (coopération au sens général, ou via la GHT), être autorisée à assurer une ou plusieurs de ses missions prévues au I de l’article L. 5126-1 ou des activités complémentaires sur autorisation. La référence à une autorisation sous-tend clairement la soumission de toute coopération « pharmaceutique » entre établissements de santé à une approbation du DG ARS.

  1. Ajustements de la procédure d’autorisation

Enfin, la procédure d’autorisation des PUI, et des changements mis en œuvre dans celles-ci, était vécue comme très lourde et contraignante. Bonne nouvelle, selon l’article R.5126-32 CSP, la plupart des modifications dans le fonctionnement d’une PUI ne feront plus l’objet que d’une simple déclaration au DG ARS. Seules Les modifications substantielles seront-elles aussi soumises à autorisation du DG ARS. Sont d’ailleurs seules considérées comme substantielles, selon le décret:

  • L’exercice d’une nouvelle mission;
  • L’exercice d’une nouvelle mission ou d’une nouvelle activité par la PUI pour le compte d’une autre PUI dans le cadre de coopérations;
  • La modification des locaux affectés à une activité soumise à une autorisation limitée à 5 ans (activités « comportant des risques particuliers »);
  • La desserte par la pharmacie à usage intérieur d’un nouveau site d’implantation de l’établissement, du service, de l’organisme ou du groupement dont elle relève.

Mais le texte ne va pas dans le sens du seul allègement des formalités. Le dossier de demande d’autorisation (ou de modification « substantielle ») devra désormais intégrer les activités, confiées à une autre PUI, ou exercées pour le compte d’une autre PUI, notamment dans le cadre des GHT.

Le dossier devra également expliciter « Les effectifs de personnels, autres que pharmaciens, la description des moyens en équipements et du système d’information permettant la réalisation des missions et activités » (art.R.5126-27 CSP). Cette exigence est nouvelle du point de vue du contenu du dossier, et elle traduit l’examen d’opportunité que le DG ARS entend conduire sur l’adéquation entre les moyens déployés et l’activité de la PUI envisagée.

Pour aussi développées qu’elles soient, les dispositions réglementant le fonctionnement d’une PUI restent peu précises sur les modalités organisationnelles précises de celle-ci. Tout au plus la PUI doit disposer « de locaux, de moyens en personnel, de moyens en équipement et d’un système d’information » lui permettant d’assurer ses missions et activités (art.R.5126-8 CSP). Le texte fixe un seuil minimal de temps de présence du pharmacien, mais aucun ratio en moyens humains (effectif cible de pharmacien, temps de préparateur en pharmacie), corrélé à l’activité de la PUI ou de l’établissement dans lequel elle est implantée. De tout ceci, il résulte une marge d’appréciation certaine laissée au DG ARS pour l’autorisation de l’activité de PUI ou de ses modifications substantielles, de même qu’un risque de maintien d’une certaine hétérogénéité des organisations entre PUI, d’un établissement à l’autre…

Là encore, la rédaction des nouvelles dispositions réglementaires laisse peu de place au doute quant à la volonté du pouvoir réglementaire d’apporter une vision territoriale et de (re)structuration de l’offre pharmaceutique hospitalière, tout à fait inédite dans ce domaine. En témoigne cette disposition de l’article R.5126-28 CSP : « Le directeur général de l’agence régionale de santé se prononce sur la demande d’autorisation au regard, d’une part, des besoins de la structure et des moyens dont dispose la pharmacie à usage intérieur […] et, d’autre part, compte tenu de l’offre de services de santé et des besoins du territoire […] »

CONCLUSION

Selon l’article 4 du décret, les PUI exerçant à la date de publication du décret des activités des activités « comportant des risques particuliers » et soumises à ce titre à une autorisation limitée à 5 ans (art.R.5126-33 CSP), devront être titulaires d’une nouvelle autorisation au plus tard le 31 décembre 2021.

Pour le reste, les PUI, titulaires à la date de publication du décret d’autorisations délivrées sur le fondement des dispositions antérieures, devront être titulaires d’une autorisation délivrée sur le fondement des nouvelles dispositions au plus tard le 31 décembre 2024 pour continuer à exercer leurs missions et activités au-delà de cette date.

Presque cinq ans, il est bien rare que le pouvoir réglementaire laisse un délai aussi long aux établissements de santé pour opérer une mise en conformité à des nouvelles conditions techniques de fonctionnement de leurs activités.

La balle est à présent dans le camp des établissements, et de leurs pharmaciens, qui devront mettre à profit cette période pour préparer le futur cadre d’exercice de leur activité, avec le risque d’une approche désormais « planificatrice » de l’offre de PUI par l’ARS dans l’instruction des dossiers…

[1] HAS, Mettre en œuvre la conciliation des traitements médicamenteux en établissement de santé : Sécuriser la prise en charge médicamenteuse du patient lors de son parcours de soins, Février 2018