Article – Mutualisation de la gestion des RH médicales: Quelle(s) stratégie(s) ?

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 03/12/2021

Martine Cappe, chargée de projet RH, et Aude Charbonnel, juriste, consultante, Centre de droit JuriSanté, CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°610 – novembre 2021

Plus que quelques semaines avant l’entrée en vigueur du texte relatif à la mutualisation de la gestion des ressources humaines (RH) médicales à l’échelle du groupement hospitalier de territoire (GHT) [1]. Si plusieurs GHT, sur la base du volontariat, ont d’ores et déjà mis en commun la gestion de leurs ressources humaines médicales, force est de constater que cela reste encore marginal.

Le Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH) a réalisé une enquête auprès de plus de 360 établissements publics de santé en 2020, portant notamment sur la mise en place d’une direction des affaires médicales de territoire. Il en ressort que seulement 14 % des établissements questionnés l’ont fait, soit une dynamique peu engagée à l’échelle nationale.

Le modèle de coordination apparaît clairement plébiscité, les établissements préférant conserver un directeur des affaires médicales « local » qui travaille avec ses homologues sur des thématiques de coopération en matière de gestion des RH médicales. Sur les treize thématiques de coopération proposées dans l’enquête, quatre se distinguent, selon le classement suivant : recrutements médicaux, attractivité/fidélisation du personnel médical, organisation de la permanence des soins et politique de rémunération.

Janvier 2022, c’est demain. L’échéance est bien là ! Il est temps que les GHT choisissent leur stratégie en matière de mutualisation de la gestion des RH médicales. Si des questions de convergence des organisations et des pratiques de gestion restent posées, des arbitrages à l’échelle du territoire doivent désormais être réalisés…

Mutualisation… ou « l’union fait la force ? »

Depuis 2016 et la loi de modernisation de notre système de santé [2] qui a institué les groupements hospitaliers de territoire (GHT), on ne parle (presque plus) que de ça : les mutualisations ! Mais comment définir une mutualisation ? D’un point de vue juridique, il s’agit de la mise en commun de moyens financiers, logistiques, humains entre plusieurs structures avec l’objectif de réduire les coûts et/ou gagner en performance, en qualité, en sécurisation… Dans le cadre d’un GHT, il s’agit d’un ensemble des démarches de coopération induites par l’appartenance à un groupement et qui seront engagées par les établissements parties sur des fonctions ou activités cliniques, médico-techniques ou supports.

La mutualisation apparaît comme un axe prioritaire dans les missions des GHT. L’enjeu étant de mutualiser les moyens de plusieurs établissements publics de santé sur un même territoire afin :

  • d’accroître l’efficacité de l’offre de soins et assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité à toutes les populations ;
  • de répondre à une pression économique forte, par la rationalisation des modes de gestion via une mise en commun de fonctions ou des transferts d’activités entre établissements.

À l’origine, quatre champs de mutualisation devaient obligatoirement intégrer le périmètre fonctionnel des GHT : système d’information hospitalier (SIH), département d’information médicale (DIM), achats, formation continue/écoles/DPC. Ces fonctions étant assurées par l’établissement support « pour le compte » des établissements parties. À côté, la biologie médicale, la pharmacie et l’imagerie étaient des activités « organisées en commun » par les établissements parties.

Une nouvelle étape a été franchie dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 » qui a intégré un « acte II » de la mise en place des GHT. Ainsi, la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a posé l’obligation d’une mutualisation de la gestion des ressources humaines médicales, dispositif complété, notamment, par l’ordonnance n° 2021-291 du 17 mars 2021 relative aux groupements hospitaliers de territoire et à la médicalisation des décisions à l’hôpital. Une nouvelle mutualisation en totale cohérence avec la stratégie médicale du groupement et la création de commissions médicales de groupement (CMG).

Au 1er janvier 2022, l’article L. 6132-3 du code de la santé publique (CSP) sera rédigé de la façon suivante : « I.- L’établissement support désigné par la convention constitutive assure […] pour le compte des établissements parties au groupement : La définition d’orientations stratégiques communes pour la gestion prospective des emplois et des compétences, l’attractivité et le recrutement, la rémunération et le temps de travail des personnels médicaux, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques, dans les limites des compétences des établissements parties à l’égard de ces personnels. Ces orientations, établies en cohérence avec la stratégie médicale du groupement, sont soumises au comité stratégique pour approbation. L’établissement support veille à leur respect par les établissements parties. »

Alors que les périmètres des GHT sont très disparates en termes de population couverte, de nombre d’établissements et d’étendue géographique (3), l’enjeu ici est pour l’ensemble des établissements d’un GHT de développer une vision prospective et territorialisée de la gestion des ressources humaines médicales. Enjeu particulièrement essentiel dans un contexte de pénurie de médecins.

Pas une stratégie mais des stratégies !

Le législateur pose une obligation de mutualisation de la gestion des RH médicales au niveau du territoire mais n’impose pas de mode opératoire. Et si les textes ne sont pas assez clairs et souvent difficiles à articuler entre eux, aux hospitaliers de saisir toutes les opportunités ! Chaque GHT peut ainsi déterminer le niveau d’intégration qu’il souhaite, inventer son modèle, choisir sa stratégie, dans le respect de textes pas toujours exempts de contradictions !

La mutualisation de la gestion des RH médicales peut reposer sur deux types de modèle :

  • modèle intégratif : avec une suppression de l’ensemble des directions des affaires médicales des établissements du GHT et la mise en place d’une direction des affaires médicales de territoire au sein de l’établissement support et des référents locaux dans les établissements parties. Ce modèle est plus facilement envisageable en présence d’une direction commune ;
  • modèle coopératif : chaque établissement du GHT garde sa direction des affaires médicales mais les directions travaillent ensemble sur des processus opérationnels de ressources humaines harmonisés. Cette gestion doit permettre une harmonisation de la politique ressources humaines médicales, afin d’éviter les concurrences interétablissements, de lever les freins à la mobilité des personnels médicaux, de constituer un levier pour l’attractivité médicale.

Quelques pistes de réflexion à la lecture de l’ordonnance du 17 mars 2021 qui confie à l’établissement support la définition d’orientations stratégiques communes :

  • gestion prospective des emplois et des compétences : il faut bien penser à raisonner au regard du territoire et de toute la démographie médicale y compris avec les professionnels libéraux ;
  • attractivité et recrutement : quels sont les retours d’expérience sur le territoire, quel est l’impact de la réforme du financement, quelles sont les conséquences de l’évolution des statuts ? Quelles marges de négociation ? Modalités d’exercice, conditions de travail, prise en compte des contraintes personnelles ou familiales…
  • rémunération : existe-t-il des engagements sur l’intérim et le respect des textes en matière de rémunération ? Quelles ouvertures possibles ?
  • temps de travail : où en est le schéma territorial de la permanence des soins ?

En tout état de cause, les stratégies envisagées vont être différentes selon les GHT : taille, géographie, direction unique, entente entre les établissements, volonté des médecins d’accepter des partages d’activité.

À noter tout de même que dans son rapport sur les GHT de 2020, la Cour des comptes [4] souligne que « la dynamique d’intégration constitue une façon de répondre efficacement à la question de l’optimisation des moyens, à la fin de la concurrence intra-GHT, à la mise en oeuvre d’une réelle solidarité entre structures hospitalières et d’une collaboration cohérente entre la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social ».

Cette nécessaire intégration des GHT pour mieux remplir les objectifs fixés lors de leur création a par ailleurs été confortée par la crise sanitaire : des « groupements ont procédé à une réorganisation de leurs activités de soins permettant à la fois d’accroître leurs capacités de dépistage, d’orientation des patients, de prise en charge en service de médecine, de soins continus ou de réanimation. Certaines organisations ont permis d’effacer les limites juridiques posées par la notion d’établissement au sein d’un même groupement. Ainsi pour le GHT Coeur Grand Est, fortement touché par l’épidémie, la répartition du personnel soignant, du matériel (masques, blouses, solutions hydroalcooliques) et des médicaments s’est faite en fonction du besoin des soignants, évitant ainsi toute rupture d’approvisionnement ou sursollicitation des personnels, malgré un taux d’absentéisme élevé du fait même de l’épidémie [5] ».

Et puis, il y a ce frein majeur à rappeler : le GHT n’a toujours pas la personnalité morale. Dès lors, le recrutement reste prioritairement effectué par les établissements parties ou plus rarement par l’établissement support qui par la suite met à disposition les médecins dans les établissements du GHT avec accord des praticiens.

Enfin, il faut souligner que le comité stratégique du GHT le « Costrat », a de nouvelles compétences en matière de définition des règles de GRH médicales.

Conclusion

Il ne suffit pas d’harmoniser, de concentrer pour mutualiser la gestion des RH médicales… Le sujet doit être abordé en lien avec la stratégie médicale et les ambitions associées en matière d’attractivité, d’organisation et de gestion de la compétence médicale. L’écoute des médecins apparaît comme un facteur clé de réussite incontournable, a fortiori dans les GHT où la compétence médicale est le plus en tension.


[1] Art. L. 6132-3 du CSP.

[2] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[3] Igas, « Bilan d’étape des groupements hospitaliers de territoire (GHT) », 2019.

[4] Cour des comptes, « Les groupements hospitaliers de territoire – Exercices 2014 à 2019 », octobre 2020.

[5] Ibid.