Article – Le règlement intérieur, miroir des tensions entre ordre juridique, organisation hospitalière et valeurs du soin

Catégorie : Droit hospitalier et coopération sanitaire
Date : 25/06/2025

Kelly Vang, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières n° 646 – mai 2025

Au-delà des aspects juridiques, le règlement intérieur doit arbitrer entre les règles fondamentales d’organisation de l’hôpital dans une logique d’ordre et permettre la bonne prise en charge des patients. Il trouve son fondement juridique dans le Code de la santé publique (CSP) [1] et sa portée est large puisqu’il s’applique à tous : patients, usagers, personnels médicaux et non médicaux, partenaires extérieurs et professionnels libéraux. Toutefois, les établissements doivent être méthodiques dans son élaboration car les sources réglementaires sont multiples ; de même, il est nécessaire de réfléchir à une cohérence globale avec tous les autres documents institutionnels. Le règlement intérieur doit ainsi trouver le bon équilibre entre l’ordre juridique, l’organisation et les valeurs du soin.

Un puzzle juridique composé de textes épars

Quand bien même le règlement intérieur d’établissement trouve sa source dans le CSP, il n’est pas aisé de lister toutes les règles qui doivent y figurer. En effet, celles-ci sont édictées à travers plusieurs dispositions éparpillées au sein de textes législatifs et réglementaires variés. On peut citer, outre le CSP, le Code général de la fonction publique (CGFP), le Code du travail ou encore le Code de l’action sociale et des familles (CASF). Toutes ces sources peuvent constituer une difficulté dans l’élaboration de ce document et en limiter la lisibilité et la portée.

Aussi, la lourdeur administrative que connaissent les hôpitaux publics leur impose de le concilier avec d’autres supports institutionnels obligatoires, comme la charte du patient hospitalisé, les livrets d’accueil à destination des usagers et des professionnels, la charte de gouvernance, etc. ; autant de supports juridiques qui peuvent traiter de sujets similaires, avec une approche différente. Afin d’éviter les redondances, il faut faire preuve d’agilité et opérer un véritable travail d’harmonisation.

Articuler règlement intérieur d’établissement et règlement intérieur d’instance

Un élément doit être pris en compte : la combinaison entre le règlement intérieur de l’établissement et les règlements intérieurs des instances. Celles-ci, dans un souci d’assurer leur bon fonctionnement, doivent adopter des règles spécifiques qui seront inscrites dans un support interne. Ces règlements intérieurs d’instance sont imposés par les textes pour la majorité d’entre eux. En revanche, leur contenu reste plus souple puisque seules les modalités de fonctionnement et d’organisation doivent être prévues.

Il faut toutefois rester vigilant puisque, pour la commission médicale d’établissement (CME), la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-technique (CSIRMT) et la commission des usagers (CDU), les textes prévoient expressément que plusieurs règles doivent être précisées par le règlement intérieur de l’établissement et non par celui de l’instance. Cette complexification peut aisément
entraîner des confusions, voire des oublis. Cela concerne en particulier la détermination du nombre de sièges et les modalités de répartition entre les différentes catégories au sein de la CME [2] et de la CSIRMT [3]. Il en va de même pour la composition de la CDU [4], dans le cas où celle-ci différerait de celle prévue par le CSP. Le risque juridique est réel puisque dans le cas où les compositions ne seraient pas prévues dans le bon support institutionnel, le juge, en cas de contentieux, pourrait considérer que celles-ci sont irrégulières et, ainsi, entraîner la nullité de l’avis rendu, voire de l’acte pris.

À titre d’exemple, la CME doit être composée :

  • de « l’ensemble des chefs de pôle d’activités cliniques et médico-techniques de l’établissement,
  • des représentants élus des responsables des structures internes, services ou unités fonctionnelles,
  • des représentants élus des praticiens titulaires de l’établissement,
  • des représentants élus des personnels temporaires ou non titulaires et des personnels contractuels ou exerçant à titre libéral de l’établissement,
  • des représentants élus des sages-femmes, si l’établissement dispose d’une activité de gynécologie-obstétrique,
  • des représentants des internes comprenant un représentant pour les internes de médecine générale, un représentant pour les internes de médecine des autres spécialités, un représentant pour les internes de pharmacie et un représentant pour les internes en odontologie,
  • d‘un représentant des étudiants hospitaliers en second cycle des études de maïeutique, lorsque la structure de formation en maïeutique est rattachée à un centre hospitalier. [5]»

Par conséquent, pour plusieurs de ces catégories de professionnels, le nombre de représentants élus doit être indiqué par le règlement intérieur de l’établissement et non celui de la CME lui-même. En cette année d’élection pour les CME et les CSIRMT, le rappel de la règle n’est pas inutile…


Ainsi, le règlement intérieur a un véritable impact sur la gouvernance de l’établissement, sans pour autant s’y limiter puisqu’il s’inscrit également comme le garant des bonnes règles de conduite à tenir au sein des locaux dans l’objectif d’assurer la sécurité de tous.

Un cadre juridique conçu pour organiser et sécuriser l’établissement

Au-delà de l’outil de gouvernance, le règlement intérieur représente un instrument de discipline collective. Son contenu doit d’abord prévoir le respect par les professionnels des normes qui régissent les statuts de la fonction publique hospitalière, soit les droits et les obligations des fonctionnaires. De plus, les règles s’imposant aux patients et les usagers (familles notamment) doivent être précisées.
Les utilisations et les destinataires du règlement intérieur sont multiples et bien qu’il soit difficile d’être exhaustif, une grande diversité de situations doit y être envisagée, qu’elles relèvent de la gestion des situations conflictuelles ou en lien avec les évolutions sociétales (laïcité, par exemple). L’objectif n’étant pas non plus de reproduire l’ensemble des dispositions issues des codes.

Il est indispensable d’indiquer les pouvoirs et attributions du directeur ainsi que la conduite à tenir des équipes dans les situations de violence ou d’incivilité de la part des patients et usagers. En outre, le CSP prévoit que le directeur, avec accord du chef de service, peut prendre toutes les mesures appropriées à l’encontre d’un patient qui causerait des désordres persistants [6]. Même s’il est explicitement prévu par la réglementation, il est recommandé d’énoncer clairement ce pouvoir de police administrative détenu par le directeur et d’en préciser l’étendue. Il est admis par la jurisprudence que le règlement intérieur peut apporter des précisions aux textes réglementaires, sans pour autant les contredire [7].

D’autres situations peuvent y être envisagées, celles concernant les situations sanitaires exceptionnelles ou encore la mise en place du plan Vigipirate. De la même manière, la gestion de ces situations particulières est généralement prévue par les textes. Toutefois, le directeur peut élaborer des procédures internes complémentaires qu’il peut mentionner dans son règlement intérieur ; le but n’étant pas de se substituer aux procédures en elles-mêmes, mais de permettre la délivrance d’une information claire à tous les destinataires.

Ces exemples illustrent la nécessité de faire évoluer le contenu du règlement intérieur en fonction des actualités, des réformes mais également des besoins des patients et usagers.

Au-delà des aspects administratifs et de sécurité, d’autres impératifs doivent être traités, comme la prise en charge des patients et les modalités organisationnelles permettant les bonnes conditions de prise en charge. Pour cela, il est nécessaire de trouver un bon équilibre entre le respect des droits des patients et les règles de vie collective.


L’une des missions principales de l’institution hospitalière est de délivrer des soins [8]. À ce titre, elle se confronte régulièrement à des exigences qui peuvent paraître contradictoires et elle peut être amenée à limiter les droits et les libertés individuelles pour des motifs d’ordre public. Par exemple, des restrictions d’allées et venues peuvent être imposées, qu’elles soient liées à des locaux spécifiques tels que des bâtiments administratifs, ou à des typologies de patient en particulier, comme les patients en soins sans consentement. Des règles de bonne conduite peuvent aussi être prévues, comme les horaires de visite [9] ou encore le sens de circulation dans les locaux.


Comment concilier les droits et libertés des patients face à ces nécessités organisationnelles ? Émerge un potentiel conflit entre les normes juridiques et les valeurs du soin. Citons par exemple le nouveau droit d’accueillir un animal de compagnie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui peut être largement restreint par le règlement intérieur [10]. Le juge contrôle néanmoins le caractère excessivement attentatoire aux libertés d’une éventuelle norme interne à l’établissement, telle que par exemple l’interdiction de toute relation sexuelle dans un établissement psychiatrique [11].


Par ailleurs, cette opposition ne se limite pas aux patients et usagers, elle s’applique également aux professionnels. Entre autres, ils peuvent se voir imposer un cadre, voire une interdiction, pour l’usage de leur téléphone personnel ou le port de bijoux et accessoires, pour des raisons de sécurité et d’hygiène.

La dimension humaine du règlement intérieur, qui reste indispensable, doit être portée et partagée par l’institution dans sa globalité. De ce fait, il est légitime de se demander quels acteurs seront associés à son élaboration. Assurer la participation des représentants des usagers et du personnel dans sa procédure d’élaboration peut être envisagé. Il en va de même pour les équipes de soins qui devraient pouvoir y contribuer. En effet, bien souvent, la création et la mise à jour de ce document dense et complet requièrent un temps conséquent, mais son potentiel est rarement pleinement exploité et son appropriation par les professionnels reste lacunaire.

Conclusion

Le règlement intérieur d’établissement, bien qu’obligatoire et fondamental, ne doit pas se limiter à un simple outil juridique : il doit incarner une culture institutionnelle partagée, reposant sur les valeurs hospitalières. Il constitue avant tout un instrument de dialogue entre la direction, les professionnels et les usagers et doit demeurer vivant en évoluant au fil des réformes et des besoins des usagers de l’hôpital.

Notes

[1] Article L. 6143-6 du CSP.

[2] Article R. 6144-3-2 du CSP.

[3] Article R. 6146-13 du CSP.

[4] Article R. 1112-80 du CSP.

[5] Article R. 6144-3 du CSP.

[6] Article R. 1112-58 du CSP. Pour illustrer, voir la décision du tribunal administratif de Dijon, du 23 août 2023, n°2301688, sur des désordres causés par un patient à l’égard des équipes soignantes.

[7] Pour l’illustrer, voir l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, du 25/09/2018, n°16BX03074.

[8] Article L. 6111-1 du CSP.

[9] À noter toutefois que le régime juridique du droit de visite a évolué avec la loi n°2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, qui a notamment introduit le nouvel article L. 1112-2-1 dans le CSP.

[10] Arrêté du 3 mars 2025 relatif aux conditions d’accueil des animaux de compagnie en Ehpad prévu par l’article 26 de la loi n°2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie.

[11] CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, 11BX01790.